Distr.
GENERALE

A/54/660
10 décembre 1999

FRANCAIS
Original:ANGLAIS



Cinquante-quatrième session
Point 116 c) de l'ordre du jour
Questions relatives aux droits de l'homme :
situations relatives aux droits de l'homme et rapports des rapporteurs et représentants spéciaux


Situation des droits de l'homme au Timor oriental


Note du Secrétaire général


Le Secrétaire général a l'honneur de communiquer aux membres de l'Assemblée générale le rapport de la mission commune effectuée au Timor oriental par la Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l'homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial de la Commission sur la question de la torture et la Rapporteuse spéciale de la Commission sur la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, conformément à la résolution 1999/S-4/1 de la Commission en date du 27 septembre 1999.


Table des matières
Paragraphes
I. Introduction
1–15
II. Évolution de la situation générale en matière de droits de l'homme et contexte
16–58
A. Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
23–40
B. Actes de torture et de violence contre les femmes
41–58
III.Responsabilité de l'État
59–65
IV.Force internationale au Timor oriental
66–67
V.Conclusions et recommandations
68–74



I. Introduction


1. Madame Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l'homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécial de la Commission sur la question de la torture, et Mme Radhika Coomaraswamy, Rapporteuse spéciale de la Commission sur la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, ont effectué une mission commune au Timor oriental du 4 au 10 novembre 1999. Cette mission faisait suite à la résolution 1999/S-4/1 du 27 septembre 1999, intitulée «Situation des droits de l'homme au Timor oriental», que la Commission des droits de l'homme a adoptée à sa quatrième session extraordinaire sur la situation au Timor oriental, qui s'est tenue du 24 au 27 septembre 1999. La session extraordinaire avait été convoquée en raison des informations de plus en plus nombreuses faisant état de violences systématiques et de graves violations des droits de l'homme au Timor oriental, à l'issue de la consultation populaire sur le statut futur du Timor oriental qui a eu lieu le 30 août 1999. Il s'agissait de la quatrième session extraordinaire de la Commission : deux sessions extraordinaires avaient eu lieu en 1992 et 1993, sur la situation dans l'ex-Yougoslavie, et une en 1994, sur la situation au Rwanda.

2. Dans sa résolution 1999/S-4/1, la Commission a condamné les violations générales, systématiques et flagrantes des droits de l'homme et du droit international humanitaire au Timor oriental, y compris les infractions et atteintes générales au droit à la vie, à la sécurité personnelle, à l'intégrité physique et au droit à la propriété. La Commission s'est en outre déclarée profondément préoccupée par le déplacement et la dispersion forcées, à grande échelle, de personnes vers le Timor occidental et d'autres régions voisines, par la grave situation, sur le plan humanitaire, de la population déplacée du Timor oriental, par les actes de violence et d'intimidation dirigés contre les organismes internationaux de même que contre la plupart des médias indépendants, et par l'absence de mesures effectives tendant à décourager ou empêcher les violences de milices, et par la collusion qui a été signalée entre les miliciens et les membres des forces armées et de la police indonésiennes au Timor oriental.

3. La Commission a affirmé en outre que toutes les personnes qui commettaient ou autorisaient des violations des droits de l'homme ou du droit international humanitaire étaient individuellement responsables de ces violations et devaient en rendre compte, et que la communauté internationale mettrait tout en oeuvre pour faire en sorte qu'elles soient traduites en justice. La Commission a précisé que c'est aux systèmes judiciaires nationaux qu'appartenait au premier chef la responsabilité de traduire les responsables en justice.

4. La Commission demandait au Gouvernement indoné-sien de veiller, en coopération avec la Commission nationale indonésienne des droits de l'homme, à ce que les responsables d'actes de violence et de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme soient traduits en justice et de veiller à ce que les droits de l'homme et le droit international humanitaire soient pleinement respectés en ce qui concerne toutes les personnes relevant de sa juridiction ou sous son contrôle. Elle demandait également au Gouvernement indonésien de continuer à s'acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l'Accord du 5 mai 1999 et de garantir le retour volontaire de tous les réfugiés et personnes déplacées, y compris ceux qui ont été déplacés de force dans des camps situés au Timor occidental. Elle lui demandait en outre d'assurer immédiatement aux organismes humanitaires l'accès aux personnes déplacées tant au Timor oriental qu'au Timor occidental et dans les autres parties du territoire indonésien, de garantir la sécurité et la liberté de circulation du personnel international et de continuer à autoriser la mise en place de l'aide humanitaire d'urgence.

5. La Commission demandait au Secrétaire général d'établir une commission internationale d'enquête chargée de recueillir et de compiler systématiquement des renseignements sur les violations des droits de l'homme et les actes susceptibles de constituer des violations du droit international humanitaire qui pouvaient avoir été commis au Timor oriental depuis l'annonce du scrutin en janvier 1999. La commission d'enquête doit faire tenir ses conclusions au Secrétaire général afin qu'il puisse faire des recommandations sur la suite à donner, et transmettre le rapport de la commission au Conseil de sécurité, à l'Assemblée générale et à la Commission des droits de l'homme à sa cinquante-sixième session.

6. Enfin, dans cette même résolution, la Commission des droits de l'homme demandait à la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, au Représentant du Secrétaire général chargé d'examiner la question des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, au Rapporteur spécial sur la question de la torture, à la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, et au Groupe de travail des disparitions forcées ou involontaires d'effectuer des missions au Timor oriental et de faire part de leurs constatations à la Commission à sa cinquante-sixième session et, à titre intérimaire, à l'Assemblée générale à sa cinquante-quatrième session.

7. Comme suite à la demande de la Commission des droits de l'homme, Mme Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécial sur la question de la torture, et Mme Radhika Coomaraswamy, Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, ont décidé d'effectuer une mission commune au Timor oriental au début novembre. Par une lettre du 26 octobre 1999, adressée au Ministre des affaires étrangères de l'Indonésie, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a informé le Gouvernement indonésien de la mission envisagée et lui a demandé de rencontrer les Rapporteurs spéciaux à Jakarta. Le 3 octobre 1999, le Gouvernement a répondu qu'il examinerait à une date ultérieure la question de la visite des Rapporteurs spéciaux et qu'une décision serait prise à l'issue d'une période de consolidation interne du Gouvernement récemment entré en fonctions. Étant donné le caractère urgent de la demande de la Commission des droits de l'homme visant à ce qu'une enquête soit effectuée immédiatement sur la situation des droits de l'homme au Timor oriental et qu'un rapport soit présenté sur la question, il a été décidé que les Rapporteurs spéciaux et le personnel d'appui effectueraient une mission d'enquête commune au Timor oriental du 4 au 10 novembre 1999. Les Rapporteurs spéciaux regrettent de n'avoir pas pu se rendre à Jakarta pour rencontrer les représentants du Gouvernement et la Commission nationale d'enquête, et de ne pas avoir eu la possibilité d'aller au Timor occidental et en divers lieux présentant un intérêt aux fins de leur enquête.

8. Le mandat de la Rapporteuse spéciale sur les exécu-tions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a été établi par le Conseil économique et social, dans sa résolution 1982/35 en date du 7 mai 1982. Mme Asma Jahangir a été nommée Rapporteuse spéciale le 12 août 1998; son mandat a été renouvelé pour une période de trois ans par la Commission des droits de l'homme (résolution annuelle 1998/68 sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, en date du 21 avril 1998).

9. Le mandat du Rapporteur spécial sur la question de la torture a été établi en 1985 par la Commission des droits de l'homme dans sa résolution 1985/33 en date du 13 mars 1985. Sir Nigel Rodley a été nommé Rapporteur spécial en 1993 et son mandat a été renouvelé pour une période de trois ans par la Commission des droits de l'homme, dans sa résolution 1998/38 en date du 17 avril 1998.

10. Le mandat de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, a été établi par la Commission des droits de l'homme dans sa résolution 1994/45 et renouvelé pour une nouvelle période de trois ans par la Commission dans sa résolution 1997/44 Mme Radhika Coomaraswamy a été nommée Rapporteuse spéciale en 1994 et continue à exercer ces fonctions.

11. Le présent rapport est fondé essentiellement sur les renseignements recueillis et les observations faites par les Rapporteurs spéciaux pendant leur mission au Timor oriental et porte sur les violations des droits de l'homme commises depuis janvier 1999. Nombre des observations présentées n'ont pas un caractère définitif et visent principalement à mettre en évidence des domaines et des questions qu'il faudra étudier plus avant, y compris les enquêtes pénales et les analyses scientifiques et techniques. À mesure que les enquêtes sur le terrain se mettent en route, on dispose de davantage d'informations sur les exécutions extrajudiciaires, actes de torture, violences sexuelles et autres atteintes aux droits de l'homme qui auraient été commises au Timor oriental, mais le tableau de la situation reste encore incomplet. De nouvelles enquêtes sont nécessaires d'urgence pour établir l'ampleur et la nature des atrocités commises au Timor oriental.



Programme de la visite

12. À leur arrivée au Timor oriental, les Rapporteurs spéciaux ont rencontré le Représentant spécial par intérim du Secrétaire général et d'autres membres du personnel de l'Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental, qui les ont mis au courant de la situation générale au Timor oriental sur les plans politique et humanitaire et en ce qui concerne les droits de l'homme. À Dili, les Rapporteurs spéciaux ont pu rencontrer l'évêque Carlos Belo. Ils se sont également entretenus avec des représentants du Conseil national de la résistance timoraise.

13. Les Rapporteurs spéciaux ont effectué plusieurs tournées d'inspection en dehors de Dili. Mme Jahangir s'est rendue dans les villes de Suai, Maliana et Oekusi, qui font partie des lieux où, d'après les renseignements communiqués, les miliciens et les militaires auraient commis ensemble des meurtres et où une forte présence des milices pro-intégrationnistes existait avant et après le scrutin. À Suai, la Rapporteuse spéciale a également inspecté les lieux où un grand nombre de personnes auraient été tuées lors d'une attaque lancée par la milice contre les deux églises de la ville. Mme Jahangir et Sir Nigel Rodley se sont rendus à Aileu, où ils ont rencontré Taur Matan Ruak, commandant adjoint du mouvement Falintil. À Aileu, les Rapporteurs spéciaux ont également pu s'entretenir avec cinq anciens membres de la milice qui sont détenus par les forces du mouvement Falintil. Les trois Rapporteurs spéciaux sont également allés à Tibar et Liquica, où ils ont entendu les dépositions relatives à des violations présumées des droits de l'homme. D'autres victimes et témoins ont été entendus au siège de l'Administration transitoire des Nations Unies pour le Timor oriental à Dili.

14. Les Rapporteurs spéciaux ont rencontré le commandant de la Force internationale au Timor oriental (INTERFET), le général Cosgrove, et ils ont été mis au courant, au siège de la Force, des enquêtes menées par la police militaire d'INTERFET et la police civile des Nations Unies au sujet des exécutions extrajudiciaires présumées. Après ces entrevues, Mme Jahangir, accompagnée par des membres du personnel d'INTERFET, de la police civile des Nations Unies et de spécialistes de l'analyse scientifique et technique des Nations Unies, a assisté à l'exhumation des restes d'une personne qui aurait été tuée par des éléments de la milice au cours d'une exécution extrajudiciaire. Mme Jahangir et Sir Nigel ont également visité le centre de détention d'INTERFET où ils se sont entretenus avec des personnes qui auraient participé à des exécutions extrajudiciaires et à d'autres violations graves des droits de l'homme.

15. À Dili, les Rapporteurs spéciaux se sont entretenus avec des représentants d'organismes des Nations Unies et d'autres organisations internationales qui se trouvent au Timor oriental, y compris le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, le Comité international de la Croix-Rouge, Médecins sans frontières et Timor Aid. Ils ont également parlé avec des représentants d'Amnesty International qui mènent des enquêtes au Timor oriental. À Dili, les Rapporteurs spéciaux ont rencontré des représentants d'organisations non gouvernementales locales, y compris Yayasan Hak, Fokupers et la Commission des droits de l'homme du Timor oriental.



II. Évolution de la situation générale en matière de droits de l'homme et contexte


16. La crise qui s'est produite récemment au Timor oriental doit être replacée dans le contexte de décennies de graves violations des droits de l'homme et de tensions politiques depuis l'annexion du territoire par l'Indonésie en 1975. Ces dernières années, les rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l'homme ont établi des rapports et exprimé des préoccupations de plus en plus vives au sujet de la situation en matière de droits de l'homme au Timor oriental. Il y a eu constamment des allégations selon lesquelles les membres des forces armées indonésiennes et des milices et groupes paramilitaires progouvernementaux se seraient rendus coupables d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture, de disparitions et d'actes de violence sexuelle.

17. Le 27 janvier 1999, le Gouvernement indonésien a annoncé qu'il était disposé à revenir sur l'annexion du Timor oriental et à accorder l'indépendance au territoire, dans l'éven-tualité où son offre d'autonomie serait rejetée. Pour entamer ce processus, le Portugal et l'Indonésie sont convenus, le 11 mars 1999, de l'organisation d'un scrutin supervisé par l'Organisation des Nations Unies, en vue de demander au peuple du Timor oriental s'il acceptait ou rejetait la proposition d'autonomie du Gouvernement indonésien. Le 21 avril, a été conclu un accord qui engageait toutes les parties au Timor oriental, y compris les forces armées et les groupes favorables respectivement à l'intégration et à l'indépendance, à mettre fin aux actes de violence sur le territoire. Cet accord a également créé une commission pour la paix et la stabilité au Timor oriental, qui comprenait des représentants des groupes favorables à l'indépendance et à l'intégration, des autorités locales, des polices locales et des forces armées indonésiennes.

18. Le 5 mai, l'Indonésie, le Portugal et le Secrétaire général ont signé à New York un accord contenant un cadre constitutionnel pour le statut futur du Timor oriental et établissant les modalités de la consultation populaire. Cet accord stipulait que les autorités indonésiennes étaient responsables de la création d'un climat exempt de violence et d'intimidation et propice à la réalisation de la consultation populaire. Cet accord soulignait également que la neutralité et l'impartialité absolues des forces armées et de la police indonésiennes seraient essentielles à cet égard.

19. Le 11 juin 1999, la Mission des Nations Unies au Timor oriental (MINUTO) a été créée et chargée d'organiser et de réaliser la consultation populaire. La préparation et la réalisation du scrutin ont eu lieu malgré des incidents violents, des menaces et des actes d'intimidation qui ont été principalement le fait d'éléments de milices progouvernementales. Après plusieurs reports, la consultation populaire s'est finalement déroulée le 30 août, avec une participation d'environ 98 % des inscrits. Le 4 septembre, le Secrétaire général a annoncé les résultats de la consultation populaire, lors de laquelle plus de 78 % des électeurs avaient rejeté la proposition d'autonomie du Gouvernement indonésien, et a demandé à toutes les parties de mettre fin aux actes de violence et de commencer un véritable processus de dialogue et de réconciliation.

20. Cependant, après cette annonce, des milices et des éléments des forces de sécurité indonésiennes se sont livrés à des actes de violence sur une grande échelle, terrorisant et tuant des partisans de l'indépendance. Des maisons privées, des bâtiments publics et des infrastructures ont été systématiquement incendiés et détruits. Plus de 400 000 personnes ont été obligées de fuir vers les collines ou ont été chassées du Timor oriental par les forces armées indonésiennes et des milices, principalement vers le Timor occidental et des îles indonésiennes voisines.

21. En raison de l'escalade de la violence, la MINUTO a été obligée d'évacuer son personnel du Timor oriental le 14 septembre. Environ 1 400 civils du Timor oriental qui avaient fui les actes de terreur à Dili et ailleurs et s'étaient réfugiés dans l'enceinte de la mission de l'ONU ont également été transportés par avion en lieu sûr lors de l'évacuation de la MINUTO. Les actes de violence et de destruction se sont poursuivis avec la même intensité après le départ de la mission, malgré des appels répétés adressés au Gouvernement pour qu'il reprenne en main la situation et respecte son obligation d'assurer l'ordre et la sécurité.

22. Le 12 septembre, le Gouvernement indonésien a accepté officiellement la présence d'une force d'intervention internationale au Timor oriental. Cette force, appelée Force internationale au Timor oriental (INTERFET), a commencé à se déployer le 20 septembre et assure maintenant la sécurité, en facilitant la distribution des secours humanitaires et en rétablissant l'ordre au Timor oriental. Le 25 octobre, le Conseil de sécurité a décidé de créer l'Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO), dotée d'un large mandat d'une durée de trois ans pour faciliter l'accession progressive du territoire à l'indépendance. Sa mission consiste à assurer la sécurité et à maintenir l'ordre, à établir une administration et à contribuer à mettre en place des services civils et sociaux. Elle coordonnera également la fourniture d'une aide humanitaire et soutiendra le renforcement des capacités en vue de l'administration du territoire par ses habitants.



A. Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires


23. Dans son dernier rapport à la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1999/39/Add.1), la Rapporteuse spéciale a signalé qu'elle avait continué à recevoir des informations sur des violations des droits de l'homme attribuées à la police et aux militaires au Timor oriental et dans d'autres zones d'Indonésie. Selon ces informations, des protestataires politiques et des membres de minorités ethniques avaient été délibérément visés et soumis à des mauvais traitements en détention, ce qui avait entraîné des décès dans certains cas. La Rapporteuse spéciale avait adressé au Gouvernement indonésien des appels urgents et lui avait transmis les allégations concernant des cas dans lesquels des manifestants avaient été tués par balle par les forces de sécurité indonésiennes ou trouvé la mort à la suite du recours sans discernement à la force par des unités de l'armée indonésienne. La Rapporteuse spéciale a fait observer que ces incidents avaient rarement fait l'objet d'enquêtes et que les auteurs n'avaient presque jamais dû répondre de leurs actes. À la suite d'informations de plus en plus nombreuses sur des actes de violence et des violations des droits de l'homme attribuées aux forces du Gouvernement indonésien depuis le début de l'année, la Rapporteuse spéciale avait à de nombreuses reprises lancé des appels urgents au Gouvernement pour que les autorités assurent la sécurité et protègent l'intégrité de la population civile au Timor oriental et fassent en sorte que la police et l'armée agissent dans le strict respect des règles internationales relatives aux droits de l'homme et au droit humanitaire.

24. À cet égard, la Rapporteuse spéciale tient à attirer l'at-tention sur le rapport de son prédécesseur, Bacre Waly Ndiaye (E/CN.4/1995/61/Add.1), présenté après la mission qu'il avait effectuée au Timor oriental du 3 au 13 juillet 1994; dans ce rapport, il avait conclu que des membres des forces de sécurité responsables de violations des droits de l'homme bénéficiaient d'une quasi-impunité pour leurs actes. Il constatait un sentiment de terreur chez de nombreux Timorais qu'il avait pu rencontrer et signalait la désinvolture dont les autorités faisaient preuve à l'égard des violations des droits de l'homme par les forces armées.

25. Depuis l'annexion du territoire en 1975, il y a eu à de nombreuses reprises des allégations d'exécutions extrajudiciaires au Timor oriental. À la connaissance de la Rapporteuse spéciale, ces allégations n'ont jamais fait l'objet d'enquêtes sérieuses de la part du Gouvernement indonésien. Les auteurs ne sont qu'exceptionnellement passés en jugement et, lorsqu'ils ont été punis, les peines étaient très clémentes par rapport aux actes commis. Dans d'autres cas, les auteurs ont été condamnés pour des infractions moins graves que celles qui faisaient l'objet de l'accusation initiale. Des organisations non gouvernementales locales affirment que c'était la quasi-impunité dont jouissaient depuis longtemps l'armée et la police indonésiennes qui ont enhardi les milices et les forces gouvernementales à commettre des massacres avec tant d'impudence à la suite de l'annonce des résultats de la consultation populaire du 30 août 1999.

26. Selon les informations disponibles, après l'annonce d'une offre d'autonomie ou d'indépendance par le Gouvernement indonésien en janvier 1999, des groupes favorables à l'intégration ont lancé une campagne d'intimidation et de violence contre des personnes et des communautés connues pour leur sympathie pour le mouvement indépendantiste. Le 6 avril 1999, au moins 25 personnes qui s'étaient réfugiées dans une église à Liquica auraient été tuées par des miliciens favorables à l'intégration qui appartiendraient au groupe Besi Merha Putih. Le 7 avril, la Mission permanente de l'Indonésie auprès de l'Organisation des Nations Unies a rendu public un communiqué de presse dans lequel il était indiqué que cinq personnes avaient été tuées à Liquica, dont un agent de police local, à la suite de l'escalade d'une altercation entre partisans de l'intégration et de l'indépendance. On signale également que le 17 avril, des milices progouvernementales ont tué au moins 13 personnes à Dili au cours d'une série d'attaques armées contre des civils.

27. Des actes de violence et d'intimidation commis par des groupes favorables à l'indépendance ont également été signalés pendant la même période. On signale que le Ministre indonésien de la défense a déclaré que, jusqu'à la signature de l'accord de cessez-le-feu le 21 avril, des groupes indépendantistes avaient commis 30 actes violents, dont 14 attaques terroristes armées, l'incendie d'un village, deux manifestations violentes, 6 attaques armées contre des groupes favorables à l'intégration, 2 attaques armées contre les forces de sécurité, 3 meurtres et 2 actes de torture contre des membres de groupes favorables à l'intégration.

28. La violence qui avait caractérisé les mois antérieurs à la consultation populaire du 30 août s'est intensifiée après le scrutin et est devenue de plus en plus systématique et répandue, en particulier après l'annonce des résultats le 4 septembre. Les meurtres sont le plus souvent attribués à des milices soutenues ou aidées par les forces armées indonésiennes et la police. Il semble qu'un grand nombre de ces actes étaient dirigés contre des personnes ou des familles précises, mais certaines atrocités avaient un caractère plus aveugle et visaient apparemment à terroriser et à intimider des villages entiers ou des communautés entières considérés comme hostiles à la cause de l'intégration. Cette campagne de terreur et de violence, qui a été décrite par plusieurs témoins, dont des membres du personnel de la MINUTO, semble avoir été bien planifiée et exécutée en guise de représailles pour le vote en faveur de l'indépendance du Timor oriental. Des Timorais favorables à l'indépendance, en particulier des ecclésiastiques, des enseignants et des militants du Conseil national de la résistance timoraise ont été délibérément identifiés, traqués et exécutés sans procès. La plupart des meurtres signalés semblent avoir été commis dans les parties occidentale et centrale du Timor oriental, en particulier à Suai, Maliana et Liquica, et dans les zones environnantes, mais des informations récentes provenant d'autres provinces donnent à penser que peu de zones du Timor oriental ont été épargnées par ces atrocités.

29. Lors de son séjour au Timor oriental, la Rapporteuse spéciale a recueilli des témoignages décrivant l'attaque contre la propriété entourant la résidence de l'évêque Belo, à Dili, le 6 septembre, où plus de 2 000 civils se seraient réfugiés à la suite du déchaînement de violence dans la ville. Des témoins oculaires ont déclaré à la Rapporteuse spéciale que, vers 9 h 30, des éléments de la milice Aitarak, ainsi que des unités des forces spéciales indonésiennes Kostrad ont entouré la propriété et ont ordonné à tous de s'en aller. Peu après, des membres des milices ont pénétré dans le bâtiment du diocèse et ont ouvert le feu sur les civils. Des témoins ont dit à la Rapporteuse spéciale qu'ils avaient reconnu un certain nombre de membres de l'armée et du service de renseignement militaire Kopassus parmi les assaillants revêtus de l'uniforme de la milice et que des officiers de la Kostrad semblaient diriger l'opération. Une centaine de membres de milices et de l'armée auraient participé à l'opération. Après l'attaque, au cours de laquelle un nombre inconnu de personnes auraient perdu la vie, les corps des victimes auraient été chargés sur des camions de l'armée parqués en dehors de la propriété, et transportés en un lieu inconnu.

30. À Dili, l'INTERFET et la police civile de la Force des Nations Unies ont fait rapport à la Rapporteuse spéciale sur les enquêtes effectuées concernant le massacre de neuf personnes à Lospalos le 25 septembre dernier. Il ressort des enquêtes que ce jour-là huit personnes, dont trois prêtres catholiques, deux religieuses et un journaliste indonésien, ont été arrêtés par un groupe de miliciens appartenant à la milice Team Alpha, alors qu'ils circulaient en voiture. Les huit occupants du véhicule et un adolescent témoin de l'incident ont été tués et la voiture jetée dans une rivière proche. Six anciens membres de Team Alpha qui sont accusés du meurtre de neuf personnes sont actuellement détenus dans le centre de détention de la Force à Dili. La Rapporteuse spéciale a pu s'entretenir avec les détenus lors de sa visite dans le centre de détention. L'un d'entre eux lui a dit qu'il avait été formé, armé et payé par des officiers de renseignements des Forces spéciales d'intervention de l'armée indonésienne (Kopassus) en vue de mener des activités avec la milice armée dans la zone de Lospalos. Un autre ancien membre de la milice a dit à la Rapporteuse spéciale, au centre de détention de la Force, qu'il avait reçu de l'argent de son supérieur dans la milice, en présence d'un officier des forces armées indonésiennes, et qu'on lui avait donné l'ordre de tuer neuf indépendantistes. Cet homme est accusé d'avoir tué une des personnes susmentionnées.

31. Au cours de sa visite à Maliana, le 5 novembre, la Rapporteuse spéciale a parlé à un certain nombre de résidents locaux qui avaient été témoins de massacres et d'autres actes de violence graves commis par des miliciens intégrationnistes après les élections du 30 août. Selon leurs déclarations, dans la soirée du 8 septembre, un groupe de miliciens appartenant au groupe Besi Merha Putih et des militaires des forces armées indonésiennes sont arrivés dans le village dans deux camions militaires. (Des témoins ont déclaré que plusieurs semaines avant l'attaque, des miliciens avaient été hébergés à la base locale des forces armées indonésiennes, où ils auraient suivi une formation militaire.) Les villageois ont dit qu'entre 50 et 100 personnes avaient été tuées par des miliciens qui, en uniforme de ninja et armés de machettes, sont allés de maison en maison à la recherche d'indépendantistes. Une grande partie des personnes auxquelles la Rapporteuse spéciale a parlé ont dit qu'elles s'étaient rendues au commissariat de police local pour demander à la police de les protéger, mais celle-ci avait apparemment refusé d'intervenir.

32. La Rapporteuse spéciale a été bouleversée par le témoignage d'un garçon âgé de 11 ans, qui avait vu des miliciens tuer son père à coups de machettes. Un nombre indéterminé d'enfants faisaient partie des victimes des atrocités commises au Timor oriental et des enfants en plus grand nombre étaient gravement traumatisés par les actes de cruauté innommables dont ils avaient été les témoins. Ces enfants devaient recevoir d'urgence des soins et un appui psychologique afin de pouvoir supporter leur douleur et leur détresse.

33. Le 5 novembre, la Rapporteuse spéciale s'est rendue à la ville de Suai, où de nombreuses personnes, dont le nombre n'a pas été confirmé, auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires lors d'une attaque menée par des miliciens contre l'église locale. On a appris que le 6 septembre, des éléments de la milice Maihidin appuyés par des militaires des forces armées indonésiennes et des officiers de la police mobile indonésienne (Brimob) avaient encerclé deux églises et ouvert le feu aveuglément sur celles-ci où se trouvaient un grand nombre de civils locaux qui s'y étaient réfugiés. Les corps des victimes des massacres ont été emportés dans des camions de l'armée. Parmi les victimes se trouvaient le père Hilario Modeira et au moins deux autres prêtres. La Rapporteuse spéciale s'est rendue sur les lieux et a noté que des taches de sang étaient encore visibles sur le sol et les murs, mais que la zone avait été nettoyée et débarrassée des éléments de preuve matériels. Un tas de douilles apparemment récupérées dans les deux églises se trouvait dans une des maisons incendiées. Sur les lieux se trouvaient un certain nombre d'os humains appartenant, comme un expert médico-légal l'a confirmé, à un homme d'une vingtaine d'années. L'origine de ces restes n'est pas claire, car la police militaire de l'INTERFET dit que les os avaient été apportés sur les lieux après le massacre. Les enquêtes concernant l'incident de Suai et d'autres massacres extrajudiciaires qui auraient eu lieu sont compliquées par le fait que dans la plupart des cas, les corps des victimes ont été emportés dans des endroits inconnus et que les douilles et autres traces de l'incident ont été elles aussi emportées.

34. Le 25 novembre, la Commission indonésienne a annoncé qu'elle avait trouvé trois charniers contenant les corps de 26 personnes qui, pense-t-on, ont été tuées lors du massacre à Suai. Les charniers ont été découverts à Oeluli beach dans le district de Kobalima, au Timor occidental, à environ 3 kilomètres de la frontière avec le Timor oriental et à une vingtaine de kilomètres de la ville de Suai. Trois des corps ont été identifiés comme étant ceux des trois prêtres tués à Suai. Au moins trois des corps seraient des corps d'enfant.

35. La Rapporteuse spéciale a écouté des témoignages venant de différents endroits du pays de personnes qui avaient vu des cadavres transportés dans des camions. Des femmes ont déclaré avoir vu comment des femmes avaient été tuées après avoir été violées par la police indonésienne et des miliciens. Les corps de ces femmes auraient été emportés dans des véhicules de l'armée vers une destination inconnue. D'autres personnes auxquelles la Rapporteuse spéciale a parlé ont affirmé que les corps avaient été jetés dans une rivière, où l'on avait retrouvé des chaussures en caoutchouc et d'autres vêtements qui flottaient. Jusqu'à présent, les corps n'avaient pas été retrouvés. Un ancien milicien, dont la garde est assurée par l'INTERFET et que la Rapporteuse spéciale a interviewé a déclaré qu'il avait jeté le corps de plusieurs victimes des massacres extrajudiciaires dans la rivière après une attaque de miliciens contre des indépendantistes. Certains civils ont déclaré que les forces armées indonésiennes avaient utilisé différents types de bateaux pour transporter un grand nombre de cadavres et les jeter dans la mer. Seulement trois corps avaient été retrouvés sur les côtes du Timor oriental et ces déclarations devaient faire l'objet d'une enquête en vue d'être confirmées.

36. On ne dispose pas actuellement d'estimations fiables sur le nombre de personnes qui pourraient avoir été tuées au cours des derniers mois. Des informations faisant état de cadavres et de charniers ayant été découverts commencent à parvenir à l'INTERFET et à l'ATNUTO, mais le flux d'information demeure très lent car les organismes internationaux n'ont pas encore pleinement rétabli leurs systèmes de communication et leur présence sur le terrain. Le nombre des affirmations reçues augmente au fur et à mesure que les habitants regagnent leur foyer depuis le Timor oriental et les îles environnantes.

37. Selon l'INTERFET et la police civile de la Force des Nations Unies, les informations faisant état de massacres extrajudiciaires concernaient au 10 novembre 1999 1 093 personnes au total. Au moment où la Rapporteuse spéciale quittait le Timor oriental, huit nouveaux corps par jour étaient découverts en moyenne. Jusqu'à présent 104 corps ont été découverts et 17 autres corps et 28 charniers ont été signalés. Il y a lieu de craindre que ces chiffres officiels confirmés ne représentent que la partie émergée de l'iceberg car l'on découvre de plus en plus d'éléments de preuve relatifs à des atrocités. Les organisations non gouvernementales locales ont reçu des informations concernant le massacre de plus de 1 500 personnes. Il convient de noter aussi que les témoins oculaires auxquels la Rapporteuse spéciale a parlé pouvaient rarement préciser combien de personnes avaient été tuées au cours des incidents auxquels ils avaient personnellement assisté. Cela est compréhensible compte tenu de la panique et de la terreur qui prévalent avant et après ces massacres.

38. Plus de 400 000 personnes ont été déplacées de leur foyer et nombre d'entre elles ont depuis perdu contact avec leurs parents et leur famille, ce qui fait qu'il est extrêmement difficile de parvenir à une conclusion concernant le nombre total des personnes disparues. Parmi les personnes déplacées figurent aussi de nombreux anciens membres des milices et leur famille. En conséquence, il est clair qu'il ne sera pas possible d'estimer de façon fiable le nombre des personnes portées disparues que lorsque la plupart des personnes déplacées auront été enregistrées, retrouvées ou rapatriées.

39. Des informations font état d'actes de violence continus perpétrés par des miliciens contre les civils déplacés du Timor oriental se trouvant dans des camps au Timor occidental. Il est indispensable que ces personnes soient autorisées à retourner dans leur foyer et que les organismes internationaux puissent avoir pleinement accès aux camps et aux autres endroits où les personnes déplacées sont actuellement hébergées.

40. À l'heure actuelle, la police militaire de l'INTERFET et les officiers de la police de la Force des Nations Unies sont responsables des enquêtes sur les crimes et les violations des droits de l'homme, y compris les massacres extrajudiciaires. Au cours des discussions avec la Rapporteuse spéciale, ces deux entités se sont plaintes du manque d'installations, notamment pour effectuer les analyses scientifiques et techniques, inspecter les lieux des crimes et exhumer les corps des personnes qui auraient été victimes de massacres extrajudiciaires. Cette situation s'est quelque peu améliorée avec l'arrivée d'un expert en médecine légale travaillant pour l'ATNUTO, mais il faut encore déployer d'urgence d'autres experts, notamment un médecin légiste, et du matériel, par exemple une installation convenable pour effectuer l'autopsie de façon à ce que les enquêtes puissent aller de l'avant sans délai ni interruption.



B. Actes de torture et de violence contre les femmes


41. Le Rapporteur spécial sur la question de la torture suit depuis de nombreuses années les faits survenant au Timor oriental qui relèvent de son mandat. En 1991, le premier Rapporteur spécial, Peter Kooijmans, s'est rendu en Indonésie et au Timor oriental; de fait, il se trouvait à Dili lors du massacre perpétré au cimetière de Santa Cruz le 12 novembre 1991. Son rapport à la Commission des droits de l'homme décrit de façon détaillée ses tentatives visant à obtenir des informations sur les massacres et des garanties contre le mauvais traitement des détenus à la suite des atrocités (E/CN.4/1992/17/Add.1, par. 46 à 65). En outre, le Rapporteur spécial actuel, n'ayant pas réussi à obtenir une invitation du Gouvernement pour se rendre en Indonésie et au Timor oriental, a accepté l'invitation du Gouvernement portugais de se rendre à Lisbonne pour y rencontrer un certain nombre de personnes du Timor oriental résidant au Portugal qui auraient été torturées par les forces de sécurité indonésiennes avant de quitter leur pays. Il a jugé qu'un certain nombre de leurs dépositions étaient crédibles.

42. Le Rapporteur spécial a observé que la majeure partie des allégations faisant état de torture et de mauvais traitements entendues par sa délégation au cours de la mission commune concernaient ce type de traitement avant le meurtre ou des violences sexuelles.

43. S'agissant des actes de torture et des mauvais traite-ments suivis d'un meurtre, la plupart des informations pertinentes figurent dans la section précédente et ne seront pas résumées ici. De fait, des personnes qui auraient survécu à des mauvais traitements de ce type, que la délégation a rencontrées dans le village de Tibar, le 7 novembre, auraient dû, semble-t-il, être tuées mais elles ont été apparemment sauvées, avec l'aide de personnes infiltrées parmi les miliciens impliqués, par des collaborateurs du maire du village que la délégation a aussi rencontrés. L'un d'entre eux, Agosto Fernandes, a déclaré qu'il avait été détenu dans le port de Dili et soumis à différents sévices corporels; il portait des cicatrices qui semblaient étayer sa déclaration. Cela était aussi le cas de l'autre personne, João de Costa, qui a dit qu'on l'avait attaqué à son domicile.

44. Le Rapporteur spécial avait reçu de nombreuses communications d'organisations non gouvernementales selon lesquelles, dans les trois premiers mois de 1999, de nombreuses personnes avaient été arrêtées par des groupes de miliciens, opérant parfois en collaboration avec les TNI, et soumises à diverses formes de torture et de mauvais traitements. Le plus souvent, les mauvais traitements ont consisté en coups et blessures infligés à l'aide de bâton, de machettes, de lances, de couteaux et de crosses de fusil. Le déroulement de la visite n'a pas permis d'examiner directement les cas signalés, mais le Rapporteur spécial les a jugés suffisamment documentés et cohérents entre eux et par rapport aux dénonciations déjà reçues pour les transmettre au Gouvernement indonésien en le priant de faire connaître ses observations. Le rapport du Rapporteur spécial à la Commission des droits de l'homme à sa cinquante-sixième session traitera de ces communications.

45. La délégation a également eu accès au petit nombre de résumés de témoignages reçus au sujet d'actes qui auraient été commis par des personnes détenues par l'ATNUTO. Un autre document mentionnait les aveux de l'un des détenus qui s'est reconnu coupable de coups et blessures graves.

46. Depuis que son mandat a été établi, en 1994, la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes a reçu des informations sur de nombreux cas de violence contre les femmes qui auraient été commis par les forces armées indonésiennes au Timor oriental. En novembre 1998, la Rapporteuse spéciale s'est rendue en Indonésie et au Timor oriental. La Rapporteuse spéciale a observé que, malgré l'exis-tence d'une plus grande liberté au Timor oriental et en dépit des gestes de bonne volonté faits par le Président Habibie, les abus graves et systématiques, fréquents dans le territoire, continuaient de créer un climat de méfiance et de soupçon. Les femmes étaient particulièrement exposées aux violations des droits de l'homme sexospécifiques, dont le viol et le harcèlement sexuel. Il n'était pas rare que les viols ne soient pas dénoncés par crainte de représailles. La Rapporteuse spéciale a observé qu'avant mai 1998 le viol a été utilisé comme un instrument de torture et d'intimidation par certains éléments de l'armée indonésienne au Timor oriental. Des parentes des opposants politiques ont été violées par des agents des forces militaires, à titre de revanche ou pour contraindre les personnes de leur parenté à sortir de la clandestinité. Au moment de la visite de la Rapporteuse spéciale, les viols de Timoraises se poursuivaient et, pourtant, le commandant régional de l'armée à Dili lui a assuré qu'il ne tolérerait pas la violence contre les femmes de la part des forces armées. Lorsqu'elle a rédigé son rapport, en décembre 1998, la Rapporteuse spéciale a déclaré qu'il était encore trop tôt pour savoir si les assurances données par les responsables militaires auraient des effets concrets et si les violeurs auraient à rendre compte de leurs actes devant les tribunaux militaires (voir E/CN.4/1999/68/Add.3). La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes a continué à recevoir des dénonciations d'abus des droits de l'homme au Timor oriental tout au long de l'année 1999.

47. Durant la cinquante-sixième session de la Commission des droits de l'homme, en avril 1999, la Rapporteuse spéciale a déclaré craindre que le discours sur les droits de l'homme, dont elle s'était félicitée dans son rapport sur sa mission en Indonésie et au Timor oriental, soit menacé. Elle a appelé l'attention sur les événements récents au Timor oriental et invité la communauté internationale à rester vigilante car il pouvait toujours se produire un retour à une époque où les droits de l'homme en Indonésie étaient violés dans la plus grande impunité.

48. Durant la mission commune, la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes a recueilli des témoignages de survivantes victimes de viols et de témoins directs de violations des droits de l'homme. Elle a recueilli les preuves d'une violence largement répandue contre les femmes au Timor oriental durant la période examinée. La violence a été organisée et commise notamment par les membres des milices et les membres des TNI. Il n'y avait, à certains endroits, aucune distinction entre les uns et les autres car les membres des milices étaient aussi membres des TNI. Il est évident, quoi qu'il en soit, que les plus hauts responsables militaires au Timor oriental savaient ou avaient des raisons de savoir que la violence était largement répandue contre les femmes au Timor oriental. Il s'est produit des cas d'esclavage sexuel, de violence sexuelle utilisée comme un moyen d'intimidation et de violence sexuelle provoquée par le climat d'impunité créé par les forces de sécurité qui opéraient dans l'île.

49. La Rapporteuse spéciale a recueilli plusieurs témoigna-ges de femmes qui auraient été victimes d'esclavage sexuel. Tous les témoignages ne peuvent pas être reproduits, faute de place. Néanmoins, les exemples qui suivent montrent que les officiers des TNI ont pratiqué la violence sexuelle et ont participé directement au commandement de la milice.

50. V., née le 4 avril 1981, est originaire de Bobonaro. Le 8 septembre 1999, la milice a incendié la maison de sa famille, et elle-même et ses proches se sont réfugiés dans un magasin voisin appartenant à un couple indonésien javanais. Toutes les victimes du voisinage s'étaient rassemblées là et étaient gardées par les TNI. Malheureusement, certains membres des TNI appartenaient aussi aux milices. V. se trouvait dans la cuisine le lendemain de l'incendie lorsqu'un soldat des TNI nommé Natalino, a offert 140 000 rupiahs à C., l'épouse d'un soldat des TNI nommé Sabino, qui gardait les victimes, pour convaincre V. d'avoir des rapports sexuels avec lui. La femme a ordonné à V. d'avoir des rapports sexuels avec l'homme. Il était armé d'un fusil et V. était terrifiée. Elle a hurlé pour appeler à l'aide mais le soldat des TNI l'a violée. Le lendemain soir, il est revenu et l'a emmenée avec lui. La situation s'est poursuivie ainsi jusqu'à ce que les forces militaires décident de se retirer au Timor occidental. Le soldat des TNI voulait emmener V. avec lui mais elle et sa famille ont refusé, déclaré qu'elle était l'aînée des enfants et qu'il fallait qu'elle s'occupe de ses frères et soeurs. Elle a pris la fuite dans les montages d'où elle n'est redescendue qu'une fois le calme rétabli.

51. R. est aussi originaire de Bobonaro, et née le 6 août 1973. Elle a été mariée, puis a divorcé. Le 8 septembre, sa maison a été incendiée totalement. Elle-même et les membres de sa famille se sont d'abord réfugiés dans la maison d'un chef local de la milice qu'ils connaissaient mais leur hôte a été tué. Le 10 septembre, R. et sa famille se sont réfugiées également dans le magasin où V. se trouvait et qui était gardé par la milice et des militaires en armes. L'un des miliciens s'est adressé à elle pour lui dire que le commandant Pedro de la milice, appartenant également à l'armée indonésienne, voulait la voir. Sa mère a, en vain, tenté de la protéger. L'homme l'a conduite au commandant qui l'a violée dans une maison abandonnée. R. a été désignée par la femme qui avait également servi d'intermédiaire dans le cas de V. Le lendemain, Pedro lui a apporté des cadeaux et 20 000 rupiahs, et a tenté de la convaincre de se rendre au Timor occidental, mais elle a refusé. Le lendemain soir, un autre soldat des TNI, nommé Sabino, l'a enlevée de force de chez ses parents et l'a violée dans une autre maison abandonnée. Le troisième soir, Sabino est venu avec un autre soldat des TNI, appelé Januario, qui lui aussi, l'a emmenée et l'a violée. R. a ensuite réussi à s'échapper dans les montagnes où elle est restée jusqu'à ce que la situation s'améliore.

52. Outre l'esclavage sexuel, la violence sexuelle a aussi servi de moyen d'intimidation, particulièrement durant la période allant de janvier à juillet 1999. La violence est allée jusqu'à des cas de torture. L'intimidation a été dirigée spécialement contre les femmes des familles où les hommes avaient quitté le village. La Rapporteuse spéciale a reçu de nombreuses dénonciations venant des régions de Liquica et de Viqueque. Comme la Rapporteuse spéciale n'a pas rendu visite aux femmes victimes de ces agissements dans ces régions, elle n'a pas pu vérifier le contenu des rapports en recueillant des témoignages directs. Cependant, des organisations non gouvernementales lui ont communiqué des rapports sur plusieurs cas de violence contre des femmes dont l'époux avait quitté la maison et de violence contre des femmes déplacées à l'intérieur du pays. Les témoignages sont suffisamment détaillés pour être crédibles et appellent des enquêtes plus approfondies.

53. Pour la plupart, les cas de violence sexuelle ont été causés par le climat d'impunité qui a régné dans l'île au cours des mois qui ont précédé et suivi la consultation. Les cas ci-après, fondés sur des témoignages directs, donnent une idée de l'impunité à ce moment-là.

54. A. est une jeune fille de 15 ans, originaire du district de Liquica. Le 18 septembre, un chef de la milice locale, Alphonso Lauhata, est venu la chercher, elle-même et une amie, pour les conduire à une manifestation du parti politique Golkar. Comme les deux jeunes filles refusaient de le suivre, l'homme a menacé de tuer leurs parents et d'incendier leur maison. Les deux jeunes filles sont donc allées à la manifestation. Elles ont ensuite été contraintes de se rendre à une fête du parti Golkar. Elles y sont restées jusqu'à 3 heures du matin et ont alors été emmenées ailleurs. Trois hommes en moto les ont suivies, tous membres de la milice locale. Ils se dénomment : Miguel, Pedro et Momo. A. et son amie ont été conduites par Alphonso chez une tante, où elles sont restées. Les trois hommes sont entrés de force dans la maison en demandant où étaient les jeunes filles. Les membres de la famille se sont enfuis. A. a couru hors de la maison et s'est cachée près des bâtiments du Parlement régional mais les miliciens l'ont retrouvée. Elle a d'abord été violée par Momo. Comme elle hurlait, il lui a bourré la bouche avec son sarong. Après Momo, ç'a été le tour de Miguel qui l'a menacée en tenant un couteau près de sa tête. Une fois leur forfait accompli, ils ont menacé de la tuer et de tuer ses parents si elle parlait. Puis ils sont partis.

55. Il y a aussi le cas de J. Le 6 septembre, la milice est venue et l'a emmenée, avec sa famille, dans les casernes du bataillon 744 Becora de l'armée indonésienne. Le 12 septembre, la famille a demandé la permission de rentrer chez elle. Il fallait obtenir l'accord du quartier général militaire. Francisco Suarez, un commandant du régiment de l'armée de terre des TNI, a proposé d'emmener J. sur sa moto jusqu'au quartier général. La famille a accepté. Cependant, au lieu de la conduire au quartier général de l'armée, il l'a emmenée sur une plage éloignée. Elle a tenté de sauter de la moto mais il l'a retenu par les jambes. Il a arrêté la moto et a pointé une arme sur elle en lui disant qu'il ne l'a reconduirait que si elle avait des rapports sexuels avec lui. Elle l'a supplié de la laisser tranquille en lui disant qu'elle était catholique et vierge. Il l'a poussée par terre et l'a violée. Après quelque temps, il l'a violée à nouveau. Il lui a donné 200 000 rupiahs et l'a ramenée à sa famille.

56. En raison de l'impunité dont les TNI bénéficient de longue date en rapport avec les crimes de violence sexuelle commis au Timor oriental, les victimes ont été dans l'impossibilité de dénoncer ces agissements et de tenter d'obtenir justice. À mesure que les réfugiés quitteront les montagnes et le Timor occidental, le nombre de récits semblables ne pourra qu'augmenter. Les organisations de femmes et les organisations de défense des droits de l'homme comme Fokupers et la Commission des droits de l'homme du Timor oriental recueillent des déclarations sous serment à mesure que les personnes arrivent et commencent à raconter leurs histoires. L'ampleur de la violence ne sera mesurable que dans quelques mois.

57. La Rapporteuse spéciale a également entendu décrire des cas de violence contre les femmes dans les camps de réfugiés du Timor occidental. Selon les indications recueillies, des jeunes filles sont emmenées hors du camp durant la nuit, violées et ramenées. La Rapporteuse spéciale a recueilli ces informations auprès de nombreuses sources non gouvernementales mais n'a pas pu les corroborer en obtenant des dépositions individuelles ou des témoignages directs. Néanmoins, la persistance de ces dénonciations rend nécessaire une enquête de la part des autorités qui ont accès au camp de réfugiés au Timor occidental. La seule confirmation obtenue concerne une femme âgée de 24 ans revenue du Timor occidental. L'organisation Médecins sans frontières a confirmé qu'elle avait transféré cette personne au CICR. L'intéressée avait été battue et violée, et souffrait d'un traumatisme psychologique. Le CICR n'avait pas déclaré le cas à l'INTERFET mais est convenu que tous les cas futurs seraient rapportés aux autorités chargées des enquêtes.

58. La Rapporteuse spéciale juge regrettable que l'INTERFET ne compte pas de spécialistes des cas de violence sexuelle. Il n'y a aucun groupe ni le moindre enquêteur spécialisé qui serait capable d'identifier les cas de violence contre les femmes et de faire rapport et d'enquêter à leur sujet. Il est urgent de remédier à cette lacune et de donner à l'INTERFET l'appui indispensable pour que des enquêtes appropriées puissent avoir lieu sur les cas de violence sexuelle. Le commandant de l'INTERFET a réagi positivement à la suggestion faite dans ce sens.



III. Responsabilité de l'État


59. Bien que la plupart des atrocités commises au Timor oriental doivent clairement être attribuées à des membres des milices pro-intégration, les informations recueillies et les témoignages entendus par les Rapporteurs spéciaux ne laissent pratiquement aucun doute en ce qui concerne le rôle joué directement et indirectement par les TNI et la police en appuyant, en planifiant, en assistant et en organisant les groupes de miliciens pro-intégration.

60. La coopération étroite entre les membres des milices et les TNI a été constatée et mise en évidence par le personnel de la MINUTO, qui a observé directement des réunions conjointes d'officiers des TNI et de groupes de miliciens en plusieurs endroits de l'ensemble du territoire. Les participants et d'autres témoins ont indiqué qu'un objectif commun de ces réunions était de transmettre des plans stratégiques et tactiques concernant des actes de violence dirigés contre des partisans de l'indépendance. La plupart des témoins interrogés par les Rapporteurs spéciaux, y compris des fonctionnaires des Nations Unies, ont déclaré que des unités des TNI ou de la police étaient souvent présentes lorsque des violations des droits de l'homme étaient commises par des groupes de miliciens, mais ne faisaient rien pour empêcher la violence. À de nombreuses reprises pendant plusieurs mois, le personnel de la MINUTO a observé directement les unités des TNI et de la police indonésienne qui effectuaient conjointement avec des groupes de miliciens des opérations de style militaire. Comme il a été noté ci-dessus, les témoins de l'incident qui a eu lieu à Suai le 5 septembre ont impliqué des unités des TNI et de la police comme ayant participé activement à l'opération. L'épouse d'un soldat des TNI a témoigné avoir vu des membres des milices recevoir des armes au Kodim (poste de commandement militaire de district), où elle s'était réfugiée avec sa famille. Les familles d'officiers des TNI et de policiers auraient été placées en lieu sûr quelques heures avant l'annonce des résultats de la consultation populaire, ce qui semblerait indiquer que les autorités étaient parfaitement conscientes de la violence qui allait éclater.

61. Les témoignages concordants des personnes ayant assisté aux attaques des milices contre les bureaux de la MINUTO en plusieurs endroits indiquent que les unités des TNI et de la police qui étaient présentes sur les lieux n'ont rien fait pour arrêter ou empêcher la violence dirigée contre les locaux des Nations Unies. Un fonctionnaire de la MINUTO qui avait supervisé les opérations de vote à Atsabe le 30 août a décrit à la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires comment un groupe de miliciens avait encerclé le bureau de vote et avait ensuite ouvert le feu en direction du personnel de la MINUTO. Lorsque le témoin et ses collègues étaient en train de charger les urnes dans leur véhicule avant de quitter les lieux, un membre du personnel local a été poignardé dans le dos par l'un des miliciens. Il est décédé des suites de ses blessures après avoir été évacué des lieux en même temps que les autres fonctionnaires des Nations Unies. Une dizaine de policiers indonésiens étaient présents et ont été témoins de l'incident, mais n'ont même pas tenté d'intervenir.

62. Les femmes ayant survécu à des viols ont déclaré qu'il y avait une collusion et des liens étroits entre les milices, les TNI et la police. Les témoignages des survivantes indiquent que, dans de nombreux cas, aucune distinction ne pouvait être faite entre les membres des milices et les membres des TNI car il s'agissait souvent d'une seule et même personne portant des uniformes différents. On a déclaré que chaque groupe de miliciens était commandé par un officier des TNI. En outre, les témoignages indiquent que des officiers des TNI ont commis des actes de violence sexuelle. Étant donné le caractère généralisé des violations, il est évident que les commandants militaires du plus haut niveau au Timor oriental savaient, ou avaient des raisons de soupçonner, que la violence contre les femmes était largement répandue dans le territoire. Selon les informations reçues, aucune mesure n'a été prise par les autorités indonésiennes pour empêcher de tels actes ou pour poursuivre leurs auteurs conformément au droit international.

63. Des informations crédibles recueillies par les Rappor-teurs spéciaux au cours de leur mission indiquent qu'à la fin de 1998, au moins 22 nouveaux groupes de miliciens avaient été constitués au Timor oriental. En outre, les informations et les témoignages laissent entendre que ces groupes étaient armés et payés par les services de renseignements de l'armée indonésienne pour semer la terreur et la violence au Timor oriental. On a affirmé que l'unité de renseignements Satuan Tugus Inteligen (SGI), qui opérait dans la région depuis de nombreuses années, avait été réorganisée par le Kopassus (l'une des unités de renseignements de l'armée indonésienne) à la fin de 1998 afin de recruter et de former de tels groupes de miliciens au Timor oriental. À cet égard, il convient de noter que le déploiement des TNI au Timor oriental, comme dans d'autres parties de l'Indonésie, avait été effectué selon une structure qui garantissait une présence importante de l'armée à tous les niveaux administratifs, du niveau du district au niveau du village. De nombreux observateurs affirment que cette structure permettait non seulement d'exercer un contrôle militaire au niveau local, mais permettait également aux TNI de recruter et de superviser des groupes de miliciens pro-intégration. Un certain nombre de documents officiels indiquant qu'il y avait une coopération formelle entre les TNI et les groupes de miliciens ont également été découverts dans des locaux du Gouvernement au Timor oriental.

64. En vertu de l'article 3 de l'annexe I et du paragraphe 1 de l'annexe III des Accords signés le 5 mai par l'Indonésie, le Portugal et le Secrétaire général (A/53/951-S/1999/513), le Gouvernement indonésien a assumé la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité au Timor oriental afin que la consultation populaire puisse se dérouler de façon régulière et pacifique, et dans un climat exempt d'intimidation, de violence ou d'ingérence quelle qu'elle soit. Pendant toute la période récente marquée par une éruption de la violence, qui a commencé en janvier 1999 et s'est achevée avec le départ des TNI et de la police indonésienne au début de septembre, le Gouvernement indonésien a fermement gardé pour lui-même les détails des dispositions prises en matière de sécurité, malgré de nombreuses informations concernant des meurtres et des actes de pillage et d'intimidation commis par des groupes de miliciens agissant en complicité avec les TNI et la police. Pendant toute cette période, le Gouvernement a également donné à maintes reprises des assurances à l'Organisation des Nations Unies et au peuple du Timor oriental selon lesquelles il prendrait des mesures pour garantir la sécurité et maintenir l'ordre public. À aucun moment, le Gouvernement n'a exprimé son incapacité de le faire ou son intention de ne plus exercer cette responsabilité.

65. Il est demandé que les auteurs de violations des droits de l'homme soient traduits en justice. La plupart des Timorais avec lesquels les Rapporteurs spéciaux se sont entretenus, y compris des représentants du CNRT, étaient ouverts à un processus de réconciliation, mais pas au détriment de la justice. Le passé ne peut pas rester voilé de mystère. Dans de telles situations, les victimes continuent à exiger que justice soit faite et ne parviennent pas à surmonter leur peine et leur désarroi. L'impunité entraîne des frustrations et de l'angoisse, qui peuvent déclencher par la suite de nouveaux cycles de violence. Au Timor oriental, des civils sans défense ont été victimes d'actes planifiés de violence, qui ont été commis sans remord et sous les yeux des observateurs internationaux et des médias. Les autorités indonésiennes ont l'obligation de refuser l'impunité pour de telles atrocités. Si les autorités nationales n'ont pas la volonté ou la capacité de mener des enquêtes sur ces crimes et de poursuivre leurs auteurs, ceux-ci devront être traduits en justice dans le cadre d'une juridiction plus large et universelle.



IV. Force internationale au Timor oriental


66. L'INTERFET, qui est actuellement responsable du maintien de l'ordre public, exécute ses fonctions avec tact et efficacité, étant donné les contraintes auxquelles elle doit faire face dans ses opérations. Dès son arrivée et au cours de la phase de déploiement initiale, l'INTERFET n'a rencontré qu'une résistance sporadique et elle a donc pu prendre le contrôle de la plus grande partie du Timor oriental pratiquement sans avoir recours à la force. Toutefois, les pertes en vies humaines n'ont malheureusement pas pu être totalement évitées et six personnes, soupçonnées d'être des miliciens, ont été tuées lors d'affrontements armés avec des unités de l'INTERFET. La Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a été informée en détail des enquêtes sur ces cas effectuées par la police militaire de l'INTERFET.

67. En ce qui concerne le traitement des détenus, la conduite de l'INTERFET a été exemplaire. La délégation a rencontré six détenus dans des conditions telles qu'elle pouvait être certaine que les détenus n'auraient aucune crainte de parler franchement de toute plainte concernant leur traitement. Il n'y en a eu aucune. Le CICR, qui a un accès sans restriction, a confirmé également n'avoir reçu aucune plainte de la part des détenus. L'exemple a été donné par le commandant de la Force qui, surtout au début, a tenu à visiter personnellement la zone de détention. La mise en place d'une équipe de supervision de la détention a également servi de garantie contre les abus.



V. Conclusions et recommandations


68. Les Rapporteurs spéciaux ont bénéficié d'une coopéra-tion et d'un appui excellents de la part de tous les fonctionnaires de l'ATNUTO et des soldats de la paix de l'INTERFET. Ils souhaitent rendre hommage en particulier à l'engagement et au professionnalisme dont font preuve les membres du personnel local et international de l'ATNUTO, qui font leur travail avec un enthousiasme inébranlable dans des conditions très difficiles; beaucoup d'entre eux sont d'anciens membres du personnel de la Mission des Nations Unies au Timor oriental (MINUTO) qui ont aidé, avec compétence et courage, à la réalisation du référendum et ont soutenu le peuple du Timor oriental jusqu'au moment où le personnel de la MINUTO a dû se retirer. Ils sont également très satisfaits de reconnaître le tact qui caractérise les relations de l'INTERFET avec la population locale, ainsi que son esprit ouvert aux suggestions sur la manière d'aborder certains problèmes pour lesquels les membres de la Force n'ont pas reçu une formation suffisante.

69. Les Rapporteurs spéciaux ont apprécié les réunions positives et informatives qu'ils ont tenues avec des représentants de la société civile, notamment du CNRT et des organisations non gouvernementales locales de défense des droits de l'homme. Ils se sont également félicités d'avoir eu l'occasion de visiter un lieu de détention non officiel géré par des membres du FALINTIL qui sont placés dans une situation de fait malencontreuse où ils doivent déterminer s'il existe un commencement de preuve suffisant contre certains miliciens dénoncés par la population locale pour que l'INTERFET puisse les détenir. Toutefois, il était regrettable que le Gouvernement indonésien n'ait pas accepté de recevoir la délégation et de lui permettre de bénéficier du point de vue du Gouvernement sur les événements.

70. Bien qu'ils aient lu beaucoup d'articles dans la presse et vu de nombreuses images des médias concernant la destruction injustifiable, y compris par le feu, d'une grande partie des habitations et autres bâtiments du pays, les Rapporteurs spéciaux ont néanmoins été choqués en observant, de l'air et au sol, l'étendue de la catastrophe qui avait été infligée au peuple du Timor oriental, tout comme ils ont été touchés par le sentiment d'allégresse et d'espoir manifesté par la population, malgré cette adversité, au lendemain de sa libération.

71. Il est encore trop tôt, sur la base d'une brève visite et en l'absence de nombreux témoins, dont plus de 200 000 se trouvaient encore, à la fin de la visite, dans des conditions précaires au Timor occidental ou dans d'autres parties de l'Indonésie, pour pouvoir évaluer l'ampleur exacte des violations des droits de l'homme et des crimes qui ont été commis avant et après la consultation du 30 août. Ce qui est clair, c'est que cela s'est produit dans le contexte d'une attaque dirigée contre la population du Timor oriental qui appuyait dans sa vaste majorité l'indépendance de l'Indonésie. Ces crimes comprennent des meurtres, des actes de torture et de violence sexuelle, des transferts forcés de population et d'autres persécutions et actes inhumains, y compris la destruction de biens. Ils ont tous été commis d'une manière généralisée et/ou systématique.

72. Même si l'on applique les normes strictes de la Cour internationale de Justice afin d'établir la responsabilité de l'État pour les actes de groupes armés dans un contexte d'intervention extérieure (dépendance du groupe vis-à-vis de l'État) et l'exercice par l'État d'un contrôle effectif sur le groupe une norme qui ne peut pas être raisonnablement appliquée aux actes et omissions de l'État lui-même dans l'exercice de son autorité sur ses propres citoyens, il y a déjà des éléments de preuve qui montrent que les TNI étaient suffisamment impliquées dans les activités opérationnelles des milices, qui ont été le plus souvent les auteurs directs des crimes, pour engager la responsabilité du Gouvernement indonésien. Ce qu'il reste à déterminer, c'est dans quelle mesure et jusqu'à quel niveau hiérarchique les TNI ont participé directement à ces activités ou, au moins, les ont tolérées d'une manière coupable.

73. Les questions concernant les détails de tous les crimes et violations des droits de l'homme et la détermination définitive de la portée et du niveau de la responsabilité des TNI devront être résolues grâce à un processus d'enquête soutenu. On ne peut pas s'attendre à ce que le système judiciaire du Timor oriental, qui doit encore être établi et mis à l'essai, puisse entreprendre un projet de cette envergure. De toute évidence, il est peu probable que les meilleurs efforts déployés par l'INTERFET et l'ATNUTO, dont le mandat sera géographiquement limité, ou par la Commission d'enquête des Nations Unies, dont la durée du mandat et les pouvoirs seront limités, permettront d'effectuer des enquêtes complètes sur tous les crimes qui doivent être éclaircis. Les antécédents d'impunité pour les crimes contre les droits de l'homme commis par les forces armées indonésiennes au Timor oriental pendant près d'un quart de siècle ne peuvent pas donner confiance dans leur capacité de rendre des comptes. De même, étant donné l'influence formelle et informelle exercée par les forces armées dans la structure politique de l'Indonésie, on ne peut pas, à ce stade, être convaincu que le nouveau Gouvernement, même en agissant de bonne foi, sera en mesure de rendre des comptes. Les équipes d'enquête devront transmettre des informations à un système qui garantit que les responsables seront traduits en justice. Les mêmes facteurs qui militent en faveur d'une enquête internationale militent également en faveur d'une procédure judiciaire internationale. Jusqu'à présent, le CNRT, le FALINTIL et, encouragée par eux, la population du Timor oriental ont, malgré quelques excès occasionnels, fait preuve d'une grande discipline pour ne pas recourir à une «justice sommaire». Toutefois, il est à craindre que, si justice n'est pas faite, il ne soit pas possible de maintenir cette discipline.

74. Par conséquent, les Rapporteurs spéciaux font les recommandations suivantes :

1. Le Gouvernement indonésien devrait immédiate-ment mettre en application son mémorandum d'accord avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en garantissant l'accès sans restriction du HCR aux camps du Timor occidental où se trouve un quart de la population du Timor oriental, de sorte que ceux qui le souhaitent puissent retourner rapidement au Timor oriental.

2. Le Gouvernement indonésien devrait se confor-mer à l'appel de la Commission nationale indonésienne des droits de l'homme concernant le démantèlement des milices, aussi bien pour faciliter la mise en oeuvre de la recommandation précédente que pour assurer que l'intégrité territoriale du Timor oriental ne soit pas compromise, surtout après le départ de l'INTERFET.

3. Des mesures devraient être prises rapidement pour satisfaire les besoins les plus urgents de l'ATNUTO en ce qui concerne les services d'experts en anthropologie et pathologie médico-légales, les installations d'autopsie, les spécialistes médicaux, en particulier ceux qui sont qualifiés pour soumettre à des examens médicaux les personnes qui se disent victimes de viols et d'abus sexuels, les capacités d'enquête criminelle comprenant un équipement et un appui logistique appropriés, les enquêteurs sur les violations des droits de l'homme, la formation et les attachés de liaison dans le domaine des droits de l'homme, et le personnel nécessaire pour un système efficace de stockage et de recherche de l'information.

4. Des ressources substantielles en matière de psychiatrie et d'autres ressources spécialisées pour l'orientation et la réadaptation des victimes de violations des droits de l'homme, y compris les déplacements forcés, devraient être mises à la disposition de ceux qui en ont besoin.

5. Si, comme ce sera probablement le cas, la Commission d'enquête n'est pas en mesure de fournir des éléments de preuve complets concernant la responsabilité de l'État, des institutions et des particuliers pour les crimes commis au cours de l'année écoulée, des mesures d'enquête supplémentaires seront nécessaires, y compris celles qui seraient appropriées pour soumettre des affaires à un tribunal pénal international.

6. À moins que, dans les prochains mois, les mesures prises par le Gouvernement indonésien pour enquêter sur la participation des TNI aux atrocités de cette année soient efficaces, à la fois en éclaircissant les faits d'une manière crédible et en traduisant les auteurs en justice à la fois directement et en vertu de la responsabilité hiérarchique, quel que soit le niveau de cette responsabilité –, le Conseil de sécurité devrait envisager de créer un tribunal pénal international à cette fin. Cela devrait être fait de préférence avec le consentement du Gouvernement, mais ce consentement ne devrait pas être une condition préalable. Ce tribunal devrait ensuite avoir juridiction sur tous les crimes relevant du droit international commis par quiconque dans le Territoire depuis le départ de la Puissance coloniale.

7. Afin d'assurer que les Timorais jouissent effecti-vement du droit de participer à l'administration de leur pays, l'ATNUTO devrait déployer des efforts particuliers pour faire participer le peuple du Timor oriental à la conception et à l'exécution de toutes les mesures de renforcement des institutions et de gestion des affaires publiques, y compris le développement économique, qui seront prises pendant la transition vers l'indépendance. Au plus les implications de ces mesures auront une vaste portée, au plus la participation de la population devra être étroite. Il faut en particulier que les consultations avec la population et la participation de celle-ci ne soient pas perçues, même d'une manière erronée, comme étant de nature symbolique.

8. Selon les besoins, la communauté internationale dans son ensemble devrait être prête à aider l'ATNUTO dans l'exécution de ses tâches. Par exem-ple, l'actuel programme accéléré visant à mettre en place un système judiciaire et un corps de procureurs et d'avocats de la défense nécessitera la fourniture de ressources substantielles de formation en droit indonésien et en normes internationales des droits de l'homme.

9. L'ATNUTO, avec l'appui de la communauté internationale, devrait accorder une attention particulière à la fourniture d'une assistance et d'un appui aux organisations non gouvernementales et aux autres institutions de la société civile, notamment grâce à des ressources financières, à la formation et à l'assistance technique, et à l'amélioration des infrastructures matérielles.




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