LA SANTE A TIMOR-EST

(Extrait du bulletin d'Agir pour Timor, avril 1999.)

Dans sa rhétorique visant à justifier l'annexion du Timor oriental, le gouvernement indonésien a constamment prétendu contribuer au développement du territoire et a argué de la construction d'hôpitaux, d'écoles, de routes et de bâtiments administratifs.

Quel bilan peut-on faire aujourd'hui de la santé publique au Timor oriental ?

Un tel bilan s'avère difficile étant donné le caractère incomplet des informations à ce sujet. Nous nous sommes servis ici des statistiques publiées chaque année par le ministère de la santé indonésien mais les chiffres avancés sont parfois totalement incohérents et il semble, au vu d'autres sources d'informations, que sa présentation minore la gravité de la question.

Nous avons donc également utilisé ici les témoignages de Timorais comme de " touristes " et d'aides volontaires ayant pu apprécier sur place la santé des habitants et les conditions médicales.

L'ORGANISATION DU SYSTEME DE SANTE

Le système de santé de Timor-Est est administré par un directeur provincial du département de santé ministériel. Selon les rapports des services indonésiens, les soins médicaux sont essentiellement fournis par les 67 Puskesmas (dispensaire populaire de santé) existant sur le territoire ( 1 pour chaque sous-district). Timor-Est compte 10 hôpitaux, dont 2 réservés aux militaires. Le seul hôpital digne de ce nom est celui de Dili. 7 autres hôpitaux, moins bien équipés, se trouvent à Baucau, Maliana, Viqueque, Ainaro, Suai, Oecussi et Los Palos.

Les statistiques officielles font état de 1 355 infirmiers et 155 médecins pour une population évaluée à plus de 800 000 habitants, mais le personnel accessible aux civils et particulièrement aux populations rurales est en réalité bien plus faible.

Chaque puskesmas est en principe dirigé par un docteur et une équipe d'infirmiers. Sa principale activité consiste à faire face aux urgences mineures, accouchements, infections et maladies bénignes. Il exerce également une médecine préventive de vaccinations et de planning familial. Les puskesmas manquent souvent de ressources, à la fois matérielles et humaines. Les médicaments font fréquemment défaut ou sont détournés par une administration corrompue.

A côté des établissements gérés par le gouvernement, l'église catholique locale a créé une vingtaine de cliniques sur le territoire, administrées par des membres des ordres religieux, plus ou moins bien formés à la pratique médicale. Leur travail consiste à soigner les différentes maladies affectant la population : tuberculose, malaria, diarrhée, pneumonie, maladies de la peau, infections respiratoires... la liste est longue. La tuberculose est présentée par le gouvernement indonésien comme la plus forte cause de décès à Timor. Son essor a été grandement favorisé par la mise en place de camps à la fin des années 70 et durant les années 80, où sévissaient la famine et des conditions d'hygiène déplorables. Le gouvernement comme les institutions catholiques ont mis en place des programmes de traitement de la tuberculose, mais celle-ci touche encore de nombreux Timorais.

MALNUTRITION

Les différentes maladies frappent d'autant plus la population que celle-ci est sous-alimentée. Bien que les rapports gouvernementaux ignorent totalement ce phénomène, tous les visiteurs font état d'une malnutrition visible sur l'ensemble du territoire. Cet état d'insécurité alimentaire est directement relié à la situation politique. Les années de guerre et d'occupation ont conduit à un véritable désastre écologique. Les bombardements et la déforestation massive ont considérablement réduit l'espace des champs cultivables et grandement fragilisé les sols.

Timor-Est jouissait jusqu'à l'invasion d'une agriculture lui assurant l'autosuffisance alimentaire. Les restrictions imposées à la population par les militaires (espaces de culture restreints, imposition des méthodes de production indonésiennes, travail sous la surveillance constante des militaires) ont sensiblement réduit la production agricole. Le riz, aliment important pour la population, est en très grande majorité importé des autres îles indonésiennes.

Selon un rapport de l'ONU de 1996, la mortalité infantile atteint 135 pour 1000 à Timor et l'espérance de vie y est de 46 ans pour les hommes, 48 ans pour les femmes. L'état de la santé de la population est bien inférieur à celui des habitants des autres provinces indonésiennes.

ECHEC DE LA POLITIQUE DE SANTE PUBLIQUE

La population éprouve une grande méfiance envers les médecins exerçant dans les puskesmas. Les 183 centres de planning familial existant sur le territoire ont mis en place un véritable contrôle coercitif des naissances. De nombreuses Timoraises ont témoigné des stérilisations forcées qu'elles avaient subi dans les hôpitaux au cours d'une intervention ou d'un accouchement. Par ailleurs, les jeunes filles se voient attribuer par les militaires, le plus souvent à leur insu, des contraceptifs sous forme d'injection. Les assassinats qui ont eu lieu à l'hôpital de Dili après le massacre de Santa Cruz expliquent également la réticence de la population à mettre les pieds dans les établissements gouvernementaux. Les Timorais préfèrent de loin aller dans les centres de soin catholiques. Bien qu'ils reçoivent parfois des médicaments de l'étranger, les établissements catholiques manquent également de ressources.

Par ailleurs, les médecins exerçant dans les puskesmas, pour la plupart indonésiens, sont généralement des étudiants en médecine, tout juste diplômés, ou venant faire leur internat à Timor. Peu expérimentés, ils travaillent sans être supervisés par des médecins, mais sous le contrôle des militaires. Ne connaissant ni langue ni la culture timoraises, la communication avec les patients est difficile et les médecins sont souvent peu motivés par leur travail.

Enfin, la population timoraise est peu informée des différentes maladies et de la prévention : ne sachant pas reconnaître les symptômes d'une maladie, les habitants attendent souvent qu'elle soit à un stade avancé pour aller voir un médecin, lequel ne peut parfois plus rien faire pour l'arrêter. Cela ne fait qu'accentuer la mauvaise réputation dont jouissent les médecins indonésiens.

UNE SITUATION D'URGENCE

Récemment, la situation médicale s'est encore dégradée. Face aux attaques menées par des milices pro-indonésiennes, de nombreuses populations ont fui leurs villages pour se réfugier dans les montagnes, églises et écoles et manquent de tout moyen d'existence. La population doit faire face à une pénurie alimentaire. Suite aux déclarations d'Habibie concernant une éventuelle indépendance du territoire, de nombreux commerçants, la grande majorité étant d'origine indonésienne ou chinoise, ont quitté le pays. De nombreuses informations font par ailleurs état de réquisitions des stocks de riz opérées par les militaires dans les magasins. Les médecins comme les enseignants ont quitté en masse le territoire, encouragés en cela par le gouvernement.

Selon un médecin américain travaillant dans une clinique catholique, entre 50 et 100 personnes meurent chaque jour de maladies parfaitement curables, particulièrement de la tuberculose, et 44 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition. Les hôpitaux ne fonctionnent quasiment plus.

Le gouvernement indonésien réfute toutes les déclarations faisant état d'un exode systématique du personnel médical. La raison semble en être son refus de voir une aide humanitaire internationale, et donc une présence étrangère importante, arriver à Timor. Des stocks de médicaments envoyés par Médecins Sans Frontières sont bloqués à Djakarta depuis des semaines et le gouvernement vient de refuser l'envoi d'une équipe chirurgicale australienne, bien qu'il n'y ait plus aucun chirurgien sur le territoire depuis presque un an.

Par ailleurs, plusieurs informations font état d'intimidations subies par le personnel médical encore sur place de la part des militaires, les empêchant d'accomplir leur travail. Cela pourrait être lié à des tentatives de l'armée de remplacer les équipes médicales et d'autres groupes professionnels tels que les enseignants par un personnel militaire, dans le but de déstabiliser encore un peu plus la situation à l'approche d'un vote sur l'avenir du territoire.


Un témoignage


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