Il
existe aujourd'hui dans la communauté universitaire - étudiants,
enseignants-chercheurs et personnels -, comme dans l'opinion publique
et la société civile, un consensus sur la nécessité de réformer nos
universités. Nous n'avons pas le droit de rater l'occasion. Au moment
où le débat entre dans une phase accélérée et décisive, l'Association
pour la qualité de la science française (QSF) souhaite rappeler
quelques-unes des recommandations auxquelles elle réfléchit depuis
vingt-cinq ans.
Pour
l'autonomie et la responsabilité des universités : l'autonomie des
universités inscrite dans la loi de 1984 n'a jamais été effective, et
la répartition ministérielle égalitariste des moyens et des
habilitations les déresponsabilise. Une vraie autonomie, portant sur le
budget, les personnels, le patrimoine, les contrats, favorisera
l'émulation entre les établissements et la recherche de l'optimum par
chaque établissement dans ses spécialités.
Si la
contractualisation pluriannuelle liant le ministère et les universités
n'a pas suffi à les piloter, c'est que les résultats ne sont pas
systématiquement pris en compte dans les décisions nationales et
locales. L'autonomie réelle des universités exigera pour contrepartie
une évaluation régulière, indépendante et compétente, servant à ajuster
le financement des formations et de la recherche sur les résultats.
Chaque université doit devenir comptable de tous ses choix, lesquels
détermineront son identité.
Pour une gouvernance renforcée des
universités : les universités n'ont pas aujourd'hui les moyens d'un
fonctionnement efficace. Le président est élu par un collège de
conseils eux-mêmes élus sur des bases syndicales et politiques ; les
enseignants-chercheurs y sont sous-représentés au profit des autres
catégories de personnels et des étudiants.
Le conseil
d'administration doit devenir un conseil restreint d'orientation
stratégique et ne plus ressembler à un comité d'entreprise. Le
président - qui pourrait être une personnalité extérieure -, nommé par
le conseil d'administration en concertation avec un collège où les
enseignants-chercheurs seraient majoritaires, doit pouvoir conduire une
politique de formation et de recherche à long terme.
Pour une
orientation active : les universités sont ouvertes à tous, sans que le
baccalauréat assure un niveau minimal d'entrée. Elles accueillent donc
trop d'étudiants dont nul n'ignore au départ qu'ils sont condamnés à
l'échec dans les filières où ils s'inscrivent (notamment la plupart des
bacheliers professionnels dans les formations générales), alors qu'ils
pourraient réussir ailleurs.
Tout jeune a droit à une formation
post-baccalauréat - il faut l'affirmer avec force -, mais l'entrée à
l'université doit faire l'objet d'une orientation attentive et active,
voire d'une sélection.
Pour des droits d'inscription reflétant la
réalité du coût des études : la quasi-gratuité des études supérieures,
à la différence de la gratuité du primaire et du secondaire, n'a pas
d'effet de redistribution des revenus ; elle n'est donc pas conforme à
la justice sociale.
La modulation des droits d'inscription est le
seul système équitable : le coût des études devrait être financé, selon
les besoins de chacun, par des bourses ou prêts permettant aux
étudiants venant de milieux défavorisés de poursuivre des études
supérieures dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui. La vérité des
coûts des études responsabiliserait les étudiants et les enseignants,
alors que leur occultation, comme l'absence d'orientation active,
favorise les étudiants des milieux aisés.
Pour la convergence des
universités et des grands organismes de recherche : le financement de
la recherche dans les universités est insuffisant, mais son
augmentation ne saurait aller sans des réformes profondes de leurs
rapports avec les grands organismes de recherche. A terme, les
organismes devraient cesser de recruter à vie et s'ouvrir à la
mobilité, suivant un statut unique de chercheur-enseignant embauché
dans une université et détaché pour une période déterminée,
éventuellement renouvelable, dans un organisme.
Pour une
revalorisation matérielle et morale du statut des universitaires : les
conditions matérielles de l'enseignement et de la recherche en France
sont inférieures à celles des pays comparables. Les meilleurs cerveaux
d'une génération ne seront pas attirés par l'enseignement et la
recherche si les traitements ne sont pas réévalués et si les services
d'enseignement, les charges d'examen et les responsabilités
administratives ne sont pas modulés en fonction de la productivité et
de l'inventivité.
Pour un redressement de l'école : aucune
réforme des universités n'aboutira sans un redressement de l'école. A
la sortie de l'enseignement primaire et secondaire, une proportion
inacceptable d'élèves ne maîtrise ni les savoirs fondamentaux ni les
bases du raisonnement. Instruments d'une politique complaisante menée
depuis une trentaine d'années, les Instituts universitaires de
formation des maîtres (IUFM) ont aggravé les échecs de l'école. Leur
intégration aux universités - conformément à la loi de 2005 sur l'école
- ne sera profitable que si celles-ci exercent pleinement leur tutelle.
Pour
une mise en place progressive de l'autonomie : l'autonomie des
universités a ses risques. Si elle était donnée à toutes d'un seul
coup, les étudiants paieraient les frais de la transition vers un
nouvel équilibre.
C'est pourquoi elle devra être mise en oeuvre
avec précaution et s'appliquer progressivement à l'ensemble des
établissements, tandis que seront institués des dispositifs de
régulation. L'autonomie des universités ne peut pas signifier l'absence
d'accréditation des formations et des diplômes. On ne met pas sur le
marché des médicaments ni des jouets sans autorisation ni contrôle - a
fortiori des diplômes.
Antoine Compagnon,
professeur de littérature française au Collège de France, président de
l'Association pour la qualité de la science française (QSF) ;
Pierre Schapira, professeur de mathématiques Paris-VI, vice-président ;
Pierre Merlin, professeur d'urbanisme à Paris-I, président d'honneur.