Comme on le sait, les savants se divisent de nos jours en deux catégories: les stationnaires et les ambulants. Les savants stationnaires s'adonnent comme autrefois à diverses recherches, tandis que les ambulants participent à toutes sortes de conférences et congrès internationaux. On reconnaît aisément les savants de la seconde catégorie. Sur le revers de leur veston ils portent une carte de visite avec leur nom et leurs titres universitaires, et ils ont toujours dans leurs poches les horaires des lignes aériennes. Ils utilisent des ceintures dépourvues de parties métalliques et même leurs serviettes sont bouclées à l'aide de fermoirs en plastique. Toutes ces précautions servent à ne pas déclencher inutilement la sirène d'alarme du dispositif installé dans les aéroports: celui-ci permet en effet de passer les voyageurs aux rayons X afin de détecter la présence éventuelle d'armes blanches ou d'armes à feu. Ces savants-là étudient la littérature spécialisée dans les autobus des compagnies aériennes, les salles d'attente, les avions ou les bars d'hôtels. Comme j'ignorais, pour des raisons compréhensibles, bien des particularités de la civilisation terrienne de ces dernières années, il m'est arrivé de déclencher l'alarme dans les aéroports de Bangkok, d'Athènes et même de Costaricana; je n'ai pu intervenir à temps, vu que j'avais dans la bouche six plombages métalliques (en amalgame). Une fois arrivé à Nounas, j'avais l'intention de les faire remplacer par des plombages en porcelaine, mais des événements inattendus m'en ont empêché.

Stanislas Lem
Le congrès de futurologie (1971)
Traduction française: Calmann-Lévy, 1976