Clichés de Californie

Huit jours à Palo Alto, une heure de San Francisco. La bourgade cossue de soixante mille habitants s’étend le long de l’ancienne route vers le Mexique, la route royale (El Camino Real, comme l’appellent les commerçants, en majorité mexicains ), aujourd’hui grande artère à six voies, doublée au Nord et au Sud par deux autoroutes souvent bondées, qui descendent vers Monterey et Los Angeles et sont l’image de nos rêves américains, «On the road again». Le grand Campus de l’Université privée de Stanford (15000 étudiants) s’étend sur plusieurs kilomètres le long de la route. L’Université irrigue le tissu social et culturel de la région, aux portes de la Silicon Valley qui abrite Hewlett-Packard, Google, Facebook entre autres, créées par des étudiants de l’Université, et aujourd’hui lieu de développement des nouvelles biotechnologies et des industries du solaire.

Une semaine à Palo Alto, avec Obama dont le charisme vise à atténuer les angoisses de la crise ou même ceux suscités par la grippe porcine dont CNN et Fox News diffusent les menaces. Tout autour de Stanford des pensions recoivent les visiteurs de passage. Je rencontre ainsi des collégiennes musclées venues de tous les USA pour le championnat de rugby féminin des collèges américains, ou des membres de la Société américaine d’archéologie, qui consacre ses journées aux problèmes théoriques de la discipline. On m’avait pourtant bien expliqué en France que le système ultra-libéral tuait les sciences humaines, cela ne s’est pas encore réalisé semble-t-il.

Mon atelier («workshop») de mathématiques se tient dans l’annexe des batiments d’une grande chaîne de vente de matériel électronique, FRY Electronics, devenu l’Institut américain des mathématiques (AIM). C’est le produit d’un amour de jeunesse de son propriétaire, Monsieur Fry, pour les mathématiques. Il consacre depuis vingt ans une part de ses bénéfices à promouvoir la recherche mathématique dans son institut.
Parfois comme ici le financement privé peut venir en aide aux financements publics, qui sont en très mauvais état en Californie (On ne veut pas faire payer les riches, et le budget des prisons est très lourd). La crise a évidemment aggravé la situation, les institutions éducatives manquent de financement, les musées sont en crise (même la célèbre Fondation Getty), là comme dans le reste des USA.
Les bourses qui permettent à de très nombreux étudiants de suivre des études supérieures sont menacées, même à Harvard, malgré les conseils éclairés de son avant-dernier Président, L.Summers, spécialiste des produits financiers dérivés, devenu conseiller économique d’Obama et remplacé par la première femme Présidente de l’Université. Je lis dans le journal local de Palo Alto qu’un conflit a opposé les associations de parents des écoles à l’administration. Celle-ci avait choisi un nouveau manuel de mathématiques «Les maths au quotidien», d’un niveau jugé trop bas par ces parents, et faisant une trop large place à l’ordinateur. Ici, au coeur de la Silicon Valley ! Les parents ont obtenu gain de cause après plusieurs semaines de pétitions.

 Pourquoi cette créativité permanente de la culture américaine ne semble-t-elle pas atteinte par la crise, qui engendre plutôt de l’innovation  ?
Quelques jours chez Monsieur Fry me suggèrent un élément de réponse.
Le sérieux des activités professionnelles s’accompagne d’une liberté totale et d’un esprit de collaboration dans la création. Monsieur Fry exige un travail collectif tout à fait exceptionnel des mathématiciens qui participent à l’atelier, dans une libre compétition qui mêle jeunes étudiants et vétérans, américains, allemands, espagnols et chinois, dans une libre recherche tournée vers les progrès futurs envisageables. Plutôt qu’un exposé des travaux passés comme ce serait plutôt le cas en Europe.
Retour à la pension, les chaînes de télévision (dont l’une, MSNBC, fait une critique« de gauche» de la politique présidentielle) montrent les discours presque quotidiens du président, la violence des banlieues américaines (disparition d’enfants, prostitution), et l’Amérique profonde.
Dimanche, le vent du large tempère le soleil sur la jetée de San Francisco. Les familles se promènent, sans souci des regards d‘autrui. Chacun est dans la recherche de son bien-être. Un esprit bricoleur et commerçant a fabriqué une sorte de pédalo collectif qui permet de se déplacer à cinq ou six, chacun pédalant pour avancer, mais tous pouvant se regarder, être ensemble. Ils passenr sur la jetée en pédalant, en se souriant et en dansant à la fois sur une musique de Stevie Wonder : Isnt’ she lovely !

J’emporte avec moi ce cliché de l’Amérique.