Les jeudis de 11h00 à 13h00, salle 1C18, et les vendredis de 11h00 à 13h00 en salle 0D4.
Notes de cours :
Ce cours s’adresse aux doctorants ou étudiants de M2 dans les domaines suivants :
Il s’agit d’une introduction à la théorie des espaces de périodes p-adiques et de leurs applications arithmétiques, réelles ou conjecturales. Néanmoins, le contenu sera de nature à intéresser un spectre plus large que les géomètres arithméticiens, notamment par les analogies existant entre cette théorie et celle des fibrés vectoriels sur une courbe projective lisse. Nous verrons ainsi à l’œuvre un certain nombre de concepts récurrents en géométrie : formalisme des pentes, filtrations de Harder-Narasimhan, critères de (semi-)stabilité, espaces de modules, formalisme Tannakien, etc... dans le contexte le plus élémentaire où ils apparaissent, à savoir les objets fitrés d’une catégorie “quasi-Tannakienne” fixée. Ce sera aussi l’occasion d’introduire brièvement quelques aspects des espaces de Berkovich. Voici une description un peu plus détaillée du contenu.
Dans un premier temps nous étudierons la catégorie des espaces vectoriels de dimension finie
sur un corps k munis d’une -filtration (décroissante, exhaustive et séparée) sur une
extension K de k. C’est une catégorie k-linéaire quasi-abélienne et tensorielle munie d’une
application rang (la dimension) et d’une application degré dont le quotient est appelé
pente. On notera vite l’analogie avec la catégorie des fibrés vectoriels sur une courbe
projective lisse, et cette analogie sera le fil rouge de ce cours. Comme pour les fibrés
vectoriels, on définira la notion de filtration canonique (ou filtration de Harder-Narasimhan)
et on montrera la compatibilité de celle-ci aux produits tensoriels. Les objets dont la
filtration canonique n’a qu’un seul saut sont dits semi-stables et forment, lorsque l’on fixe la
valeur du saut, une sous-catégorie abélienne, et même tensorielle si la valeur du saut est
nulle.
La source principale de tels objets est la théorie de Hodge, complexe ou p-adique. Voici deux exemples, où i désigne un entier.
On peut aussi remplacer la catégorie des k-ev par une catégorie de k-ev avec structures
supplémentaires, comme des filtrations ou des opérateurs linéaires ou semilinéaires... Dans ce cas la
notion de pente d’une filtration sur une extension K dépend aussi de ces structures
supplémentaires. Par exemple, les structures de Hodge mixtes de Deligne s’interprètent comme des
filtrations complexes semi-stables sur des -ev filtrés. Autre exemple : en remplaçant les
-ev
par des isocristaux, on peut s’affranchir de l’hypothèse “K totalement ramifié” de l’exemple (b), et
en rajoutant un endomorphisme nilpotent, on peut relâcher “bonne réduction” en “réduction
semistable”.
Comme dans le cas des fibrés vectoriels, on s’intéressera ensuite aux espaces de modules d’objets
semi-stables. Mais ici la situation géométrique est radicalement différente : d’une part elle est
beaucoup plus simple, d’autre part on est conduit à sortir du cadre de la géométrie algébrique. On
fixe donc un k-ev V et un “type” de filtration (i.e. les sauts et la dimension des gradués
correspondants). Les filtrations de V qui sont de ce type sont simplement paramétrées par une
variété de drapeaux de V . Le lieu des filtrations semi-stables s’obtient en enlevant pour chaque
sous-k-espace vectoriel de V une certaine sous-variété linéaire. On voit alors que si k
est fini, on enlève un nombre fini de sous-variétés linéaires et on obtient un ouvert de
Zariski, tandis que si k est infini, le lieu semi-stable n’est généralement pas un ouvert de
Zariski de la variété de drapeaux et on ne peut apparemment pas faire de géométrie
avec. Cependant, lorsque k est un corps local, nous montrerons que ce lieu est un ouvert
analytique ; dans le cas p-adique où plusieurs approches de la géométrie analytique coexistent,
nous utiliserons celle de Berkovich après l’avoir succinctement introduite. Les variétés
algébriques ou analytiques ainsi obtenues seront appelées espaces de périodes. Ils sont
équipés d’une action de . Si, plus généralement, V est un k-ev avec structures
supplémentaires, alors seulement le sous-groupe de
préservant ces structures
agit.
L’exemple le plus simple est le demi-plan de Poincaré-Drinfeld : ensemblistement c’est le
complémentaire de dans
. Lorsque k est fini c’est une courbe affine sur k, lorsque
k =
, c’est un ouvert analytique de la sphère de Riemann qui paramétrise les structures de Hodge
de type
(que l’on trouve sur le
d’une courbe elliptique), et lorsque
c’est un ouvert analytique de la droite projective
-analytique au sens de Berkovich
qui paramétrise les filtrations faiblement admissibles sur un isocristal trivial de rang
2.
Malgré des propriétés géométriques radicalement différentes, il subsiste au moins deux analogies avec la théorie des espaces de modules de fibrés vectoriels. La première vient du lien avec la Théorie Géométrique des Invariants de Mumford. La manière habituelle de construire un espace de modules des fibrés (de rang r et degré d fixés) sur une courbe est de le définir comme “quotient” d’un certain ouvert d’un schéma Quot par un certain groupe linéaire. Pour former un tel quotient on doit se limiter aux orbites raisonnables et pour cela Mumford a défini des notions de points (semi)-stables d’une variété polarisée sous l’action d’un groupe. Dans le cas présent, les deux notions de (semi-)stabilité (à la Mumford ou par les pentes) coïncident, pour un choix naturel de polarisation. Comme on l’a vu ci-dessus, nul besoin de cet attirail pour définir les espaces de périodes. Néanmoins nous verrons que la notion de semi-stabilité des espaces vectoriels filtrés se caractérise aussi à l’aide du critère numérique de Mumford.
Une autre analogie avec les fibrés vectoriels vient de la stratification de Harder-Narasimhan et de la formule récursive que celle-ci fournit pour calculer la série de Poincaré (i.e. la série génératrice des nombres de Betti) du lieu semistable. Dans un cas il s’agit d’une stratification algébrique du champ des fibrés vectoriels, dans l’autre d’une stratification algébrique ou analytique d’une variété de drapeaux. Dans chacun des cas les strates sont indexées par l’ensemble partiellement ordonné des polygones de HN que nous définirons dans le cours. De plus chaque strate est fibrée sur un certain produit de lieux semi-stables associés à des sous-quotients de V . Nous présenterons une manière de résoudre la formule récursive dûe à Kottwitz, Laumon et Rapoport et qui s’appuie sur un lemme utilisé par Langlands et Arthur dans le domaine des représentations automorphes. A cette occasion, un peu de théorie des représentations de groupes linéaires finis ou p-adiques sera utile.
A la suite d’Atiyah et Bott, si l’on considère un fibré vectoriel de rang n comme un -torseur,
on est naturellement conduit à essayer de généraliser la théorie de Harder-Narasimhan aux
G-torseurs, pour un groupe réductif G sur k. Pour établir une généralisation analogue dans le cas
des espaces de périodes, on se souvient qu’un G-torseur peut se voir aussi comme un ⊗-foncteur de
la catégorie des représentations de G vers celle des fibrés vectoriels. C’est l’approche
“Tannakienne”, qui sera expliquée dans le cours. Dans le cas des espaces de périodes, on
s’intéressera aux ℚ-filtrations du foncteur fibre canonique de
sur une extension K de k. On
leur associera une pente qui sera cette fois un cocaractère rationnel du plus grand tore déployé
quotient de G. On aura encore une notion de filtration canonique permettant de définir des
stratifications (analytiques) des variétés de drapeaux pour G dont les strates ouvertes sont encore
appelés espaces de périodes et sont équipés d’une action de G(k). Les strates seront
indexées par certains cocaractères ordonnés selon l’ordre de dominance usuel en théorie de
Lie.
Les exemples qui s’imposent sont ceux étudiés par Griffith dans les annés 70. Pour lui les espaces de périodes étaient des espaces de modules de structures de Hodge polarisées, que l’on trouve sur la partie primitive de la cohomologie d’une variété complexe projective et polarisée. Dans la reformulation de Deligne, ces espaces de modules s’interprètent comme des espace de périodes au sens ci-dessus associés à des groupes symplectiques ou orthogonaux.
Les espaces de périodes p-adiques ont été introduits par Rapoport et Zink dans les années 90 et leur évolution a suivi celle de la théorie de Fontaine sur les représentations Galoisiennes p-adiques. La motivation initiale était concentrée dans l'espoir que ces espaces seraient naturellement munis d’un système local p-adique “universel”, dont la fibre au-dessus d’un isocrystal filtré serait la représentation Galoisienne p-adique qui lui est associée via la théorie de Fontaine par le théorème de Colmez-Fontaine. Cet espoir est réalisé dans les exemples les plus célèbres, à savoir les espaces symétriques de Drinfeld et les espaces projectifs de Gross-Hopkins. Mais le cas général est plus subtil : on se heurte aux difficultés de la théorie de Hodge p-adique “relative” et la conjecture énoncée par Rapoport et Zink prend en compte certaines subtilités du monde analytique p-adique : le systéme local devrait vivre sur un espace analytique quasi-étale au-dessus de l'espace des périodes mais ayant les mêmes points "classiques". Dans le cas où les filtrations considérées sont de type "minuscule", on dispose d'une application "période" partant d'un certain espace de modules de groupes p-divisibles et aboutissant dans l'espace des périodes. Il suffit alors de décrire l'image de cette application pour résoudre et préciser la conjecture. Ceci a été fait récemment par Hartl et Faltings : le bon espace est un ouvert de l'espace des périodes ayant les mêmes points classiques. Nous essaierons d’expliquer ces derniers développements, ainsi que les liens existant avec le programme de Langlands local.
Nous terminerons en énonçant quelques problèmes ouverts concernant la géométrie des espaces de périodes.