Fonctions zeta de Dedekind

Entiers

C’est la seconde grande idée pour généraliser la fonction zeta. Remplacer les entiers naturels par les entiers d’un corps de nombres.

Si on essaie comme ça, ça ne peut pas marcher :

  • d’une part, dès qu’il y a une infinité d’unités, la série de Dirichlet risque de ne pas converger

  • d’autre part, on n’a aucune chance d’avoir un produit eulérien car on n’a pas de factorisation unique des entiers en produit d’irréductibles.

Par exemple, dans \(\Q(i\sqrt 5)\), on sait que l’on a deux factorisations bien distinctes et irréconciliables

\[6 = 2\times 3 = (1+i\sqrt 5)(1-i\sqrt5)\]

c’est possible car le nombre de classe de \(\Q(i\sqrt 5)\) vaut \(2\).

k = bnfinit(x^2+5); k.clgp

Dans l’exemple ci-dessus, la bonne factorisation comprend 3 termes

[p2,p3,q3] = concat(idealprimedec(k,2), idealprimedec(k,3))

On a \((2)=\gp_2^2\), \((3)=\gp_2\gq_3\), et \((1+i\sqrt 5)=\gp_2\gp_3\), \((1-i\sqrt 5)=\gp_2\gq_3\).

Série de Dirichlet

La théorie algébrique des nombres a bien compris que de ce point de vue la bonne généralisation est de considérer les idéaux, qui se factorisent de manière unique en idéaux premiers, et qui absorbent les unités.

Pour passer des idéaux aux nombres, on prend la norme. Remarquons que c’est déjà ce qui avait été fait pour \(\zeta\).

Si \(K\) est un corps de nombres, dont on notera \(\Z_K\) l’anneau des entiers, on pose

\[\zeta_K(s) = \sum_{\ga\subset\Z_K} \Norm(\ga)^{-s}\]

et on a le produit eulérien

\[\zeta_K(s) = \prod_{\gp} (1-\Norm(\gp)^{-s})^{-1}\]

équivalent à la factorisation unique des idéaux en idéaux premiers.

Tout de suite, ce sont des fonctions L plus imposantes.

Equation fonctionnelle

On note \([r1,r2]\) la signature de \(K\), et \(d_K\) son disciminant.

Hecke

En posant la fonction complétée

\[\Lambda_K(s) = \abs{d_k}^{\frac s2} \Gamma_\R(s)^{r_1+r_2} \Gamma_\R(s+1)^{r_2} \zeta_K(s)\]

on a

\[\Lambda_K(s) = \Lambda_K(1-s)\]

Les fonctions zeta de Dedekind sont donc des fonctions L de degré \(d=r_1+2r_2=[K:\Q]\), de poids \(1\), de conducteur la valeur absolue du discriminant de \(K\).

Valeurs spéciales

Formule du nombre de classes

Notons \(h_K\) le nombre de classes, \(w_k\) le nombre de racines de l’unité et \(R_K\) le régulateur de \(K\), alors

\[\lim_{s\to 1}(s-1)\zeta_K(s) = \frac{h_K R_K}{w_K\sqrt{\abs{d_K}}}2^{r_1}(2\pi)^{r_2}\]

ou de manière équivalente (par équation fonctionnelle)

\[\lim_{s\to0}s^{-r_1-r_2+1}\zeta_K(s) = \frac{h_K R_K}{w_K}\]

Factorisations

Une fonction zeta de Dedekind n’est pas « primitive », ce qui se voit facilement sur ses zéros

lfunzeros(x^2+x+1,20)
lfunzeros(x^5+2*x-2,20)

A chaque fois, on remarque la présence du premier zéro de la fonction zeta.

Et en effet, la fonction zeta de Riemann divise toute fonction zeta de Dedekind, ce qui se voit facilement sur le produit eulérien : si \(\gp\mid p\) est de degré d’inertie \(f\),

\[1 - p^{-s} \mid 1-p^{-fs} = 1-\Norm(\gp)^{-s}\]

donc \(\zeta(s) \mid \zeta_K(s)\), et la division est compatible avec l’équation fonctionnelle. Le quotient reste une fonction L, de degré plus petit.

On peut calculer avec

ldiv = lfundiv(x^5+2*x-2, 1)
lfunzeros(ldiv, 20)

Est-ce qu’on pourrait avoir deux fois la fonction zeta ? ce serait le cas si tous les idéaux se décomposent en au moins deux termes. Par exemple s’il n’y a pas d’idéaux inertes, par exemple si l’extension est galoisienne de groupe de Galois non cyclique.

On essaie : prenons \(K=\Q(\zeta_8)\), son groupe de Galois est \(\Z/2\times\Z/2\), les idéaux sont de degré au plus 2.

lfunzeros(x^4+1,20)
ldiv = lfundiv(x^4+1,1)
lfunzeros(ldiv,20)

Raté ! on voit aussi qu’il ne reste plus de pôle.

lfun(ldiv,1)

Comment est-ce possible ? à cause de la ramification. Il y a un seul premier ramifié, au dessus de 2, d’indice de ramification 4.

Et la fonction L restante a un facteur d’Euler trivial en 2

lfunan(ldiv, 20)

On peut poursuivre la factorisation :

lfunzeros(lfundiv(x^4+1,1), 10)
lfunzeros(Mod(3,4), 10)
lfunzeros(Mod(3,8), 10)
lfunzeros(Mod(5,8), 10)

On a un produit de 3 fonctions de Dirichlet.

Décomposition en fonctions L primitives

Plus généralement, prenons la fonction L d’un corps cyclotomique \(K=\Q(\mu(m))\). Elle est de degré \(\varphi(m)\), le nombre de caractères modulo \(m\).

On a en effet le théorème

Théorème

Si \(K=\Q(\mu(m))\), on a

\[\zeta_K(s) = \prod_\chi L(\chi, s)\]

\(\chi\) parcourt les caractères primitifs de module divisant \(m\).

Ce peut être utile pour les calculs ! comparez le nombre de coefficients de série à sommer

lfuncost(polcyclo(15),[100])[1]
sum(a=1,14,if(gcd(a,15)==1,lfuncost(Mod(a,m),[100])[1]))

Cette forme reste vraie pour tous les corps abéliens (via Kronecker-Weber).

Plus généralement, toute fonction zeta de Dedekind d’extension galoisienne se factorise en fonctions L de représentations d’Artin de son groupe de Galois, ce dont Pari/GP tire parti pour évaluer efficacement la fonction zeta.

Et encore plus généralement, le programme de Langlands prédit des factorisations en formes automorphes.

Par exemple

lfunzeros(x^3-2,10)
Lf = lfunetaquo([6,1;18,1]);
lfunzeros(Lf,10)

Ce qui illustre l’égalité

\[\zeta_{\Q(\sqrt[3]{2})}(s) = \zeta(s) L(f,s)\]

pour la forme modulaire

\[f(z)=\eta(6z)\eta(18z)=q\prod_n(1-q^{6n})(1-q^{18n})=\sum_n a(n)q^n, \text{ où }q=e^{2i\pi z}\]

où l’on pose

\[L(f,s) = \sum_n\frac{a(n)}{n^s}/\]

Corps équivalents

Puisque les fonctions L savent beaucoup de choses, on peut se demander si un corps de nombre est caractérisé par sa fonction zeta.

La réponse est non. Par exemple

lfunzeros(x^8+15,5)
lfunzeros(x^8+16*15,5)

Mais c’est même pire : le nombre de classe lui-même n’est pas déterminé.

k1 = bnfinit(x^8+15); k1.clgp
k2=bnfinit(x^8+16*15); k2.clgp
k1.reg
k2.reg