Corps cyclotomiques

Soit \(n\geq 1\). Le groupe des racines \(n\)-ième de l’unité dans \(\C\) est cyclique engendré par \(\zeta\) d’ordre \(n\), ce sont les \(n\) racines du polynôme \(x^n-1=\prod_{k=0}^{n-1}x-\zeta^k\).

Définition

On appelle corps cyclotomique le corps \(\Q(\zeta_n)\). C’est le corps de décomposition de \(x^n-1\), donc une extension galoisienne.

Que ce soit pour déterminer le degré de cette extension, ou plus généralement déterminer son groupe de Galois, il faut déterminer le polynôme minimal de \(\zeta\) sur \(\Q\).

Remarque

La seule chose que l’on peut dire à priori, c’est qu’un morphisme de Galois envoie la racine primitive \(\zeta\) sur une autre racine primitive, donc est de la forme \(\zeta\mapsto\zeta^k\) pour \(k\wedge n=1\).

Ainsi, le groupe de Galois est a priori un sous-groupe \(H\subset (\Z/n\Z)^\ast\), et le polynôme minimal vaut \(\prod_{k\in H}(x-\zeta^k)\).

On va montrer que \(H=(\Z/n\Z)^\ast\).

Polynômes cyclotomiques

polynôme cyclotomique

\(\Phi_n(x) = \prod_{k\in(\Z/n\Z)^\ast} (x-\zeta^k)\)

Théorème

  • \(x^n-1=\prod_{d\mid n}\Phi_d(x)\)

  • \(\Phi_n(x)\in\Z[x]\)

  • \(\Phi_n(x)\) est irréductible dans \(\Q[X]\) .

Démonstration

  • car \(X^n-1=\prod (x-e^{\frac{2i\pi k}n})\), puis en séparant les éléments selon leur ordre (réduire \(\frac kn=\frac{k'}d\)).

  • par récurrence en utilisant la formule ci-dessus, et division euclidienne dans \(\Z[x]\)

  • on montre que \(\Phi_n\) est le polynôme minimal de \(\zeta\) racine primitive \(n\)-ième. Il sera alors irréductible.

    • soit donc \(P(x)\) ce minimal.

    • soit \(p\) premier qui ne divise pas \(n\), alors \(\zeta^p\) est aussi une racine primitive, soit \(Q(x)\) le minimal de \(\zeta^p\).

    • supposons que \(P\neq Q\), auquel cas \(P(x)Q(x)\mid x^n-1\)

    • puisque \(\zeta\) est racine de \(Q(x^p)\), on a également \(P(x)\mid Q(x^p)\)

    • en réduisant modulo \(p\), \(\overline P(x)\mid \overline Q(x^p)=\overline Q(x)^p\)

    • or \(x^n-1\), et donc \(P\) et \(Q\), sont à racines simples modulo \(p\) car \(\pgcd(n,p)=1\)

    • donc \(\overline P(x)\mid \overline Q(x)\), donc les racines de \(\overline P(x)\) sont racines au moins doubles de \(x^n-1\), absurde.

    • ainsi \(P=Q\), donc \(\zeta^p\) est racine de \(P(x)\)

    • par induction, \(P(\zeta^m)=0\) pour tout \(\pgcd(m,n)=1\), donc \(P\) est égal à \(\Phi_n\) (ils ont les mêmes racines).

Formules de récurrence

  • sur tout corps \(K\) tel que \(car(K)\nmid n\), les racines de \(\Phi(n)\) sont des racines \(n\)-ièmes primitives de l’unité.

  • \(\Phi_p(x) = \frac{x^p-1}{x-1} = x^{p-1}+x^{p-2}+\dots x+1\)

  • \(\Phi_{p^e}(x)=\Phi_p(x^{p^{e-1}})\)

  • si \(p\nmid n\), \(\Phi_n(x^p)=\Phi_{pn}(x)\Phi_n(x)\).

Démonstration

  • leur ordre divise \(n\) est n’est pas un diviseur strict car \(x^d-1\) est premier à \(\Phi_n\) si

  • \(z\) d’ordre \(p^e\) ssi \(z^{p^{e-1}}\) d’ordre \(p\)

  • comme \(n,p\) sont premiers entre eux, \(z^p\) est d’ordre \(n\) ssi \(z\) est d’ordre \(n\) ou \(pn\).

Remarque

en revanche il n’est plus vrai que \(\Phi_n\) est irréductible sur un corps quelconque. Par exemple \(\Phi_4\) est réductible sur tout corps fini, sur \(\Q(\sqrt2)\), \(\Q(i)\) et \(\Q(i\sqrt 2)\).

Groupe de Galois

Corollaire

  • \([\Q(\zeta)/\Q]=\phi(n)\)

  • \(\Gal(\Q(\zeta)/\Q)\) est en bijection avec \((\Z/n\Z)^\ast\), via

    \[k \mapsto \phi_k:\zeta\mapsto \zeta^k\]

Remarque

pour \(n\geq 3\), \(\Gal(\Q(\zeta)/\Q)\) contient toujours un élément d’ordre \(2\), c’est la conjugaison complexe qui correspond à la classe de \(-1\).

Le sous-corps correspondant est le sous-corps réel \(\Q(\zeta+\bar\zeta)\).

Rappels sur (Z/nZ)*

\((\Z/n\Z)^\ast\) est

  • le groupe des inversibles

  • classes des entiers premiers à \(n\)

  • ensemble des générateurs de \(\Z/n\Z\).

On note \(\phi(n)=\card(\Z/n\Z)^\ast\).

Structure

lemme chinois

Soit \(n=\prod p^e\), alors

\[(\Z/n\Z)^\ast \simeq \prod_p (\Z/p^e\Z)^\ast\]

Théorème

  • si \(p\) est premier, \((\Z/p\Z)^\ast\) est cyclique.

  • \((\Z/p^e\Z)^\ast\) est cyclique si \(p\geq 3\)

  • si \(p=2\), \(\Z/4\Z\) est cyclique mais pour \(e\geq 3\) on a \((\Z/p^e\Z)^\ast \simeq \Z/2\Z\times \Z/p^{e-2}\Z\).

Démonstration

groupe dans un corps, ordre de \((1+p)\).

\[(1+p)^{p^k} \equiv 1+p^{k+1} \bmod p^{k+2}\]

si \(p=2\), \(5\) est d’ordre \(p^{e-2}\) et \(-1\) est d’ordre \(2\), on a \(\Z/p^e\Z\to\Z/4\Z\) de noyau \(1+4\Z/p^{e-2}\Z\)

Exemple

quels sont les corps cyclotomiques de degré \(\leq 10\) ?

Sous-groupes

Déterminer l’ensemble des sous-groupes de \((\Z/n\Z)^\ast\) n’est pas évident a priori. Une excellente méthode est de passer par les \(\Z\)-modules et de compter des formes normales de Hermite, cf. le chapitre suivant.

On donne juste deux cas simples.

Proposition

  • Si \(m\) et \(n\) sont premiers entre eux, les sous-groupes de \(\Z/m\Z\times\Z/n\Z\) sont les \(a\Z/m\Z\times b\Z/n\Z\)\(a\mid m\) et \(b\mid n\).

  • Plus généralement, si \(\card G_1\) et \(\card G_2\) sont premiers entre eux, les sous-groupes de \(G_1\times G_2\) sont les \(H_1\times H_2\)\(H_1,H_2\) sont des sous-groupes de \(G_1,G_2\).

Démonstration

  • lemme chinois, ce sont les sous-groupes de \(\Z/(mn)\Z\).

  • en écrivant une relation de Bézout \(mu+nv=1\), si \((x,y)\) est dans un sous-groupe \(H\) du produit, alors \((x,1)=(x,y)^{nv}\) et \((1,y)=(x,y)^{mu}\) y sont également, donc on a \(\pi_1(H)\times \pi_2(H)\subset H\).

Proposition

Les sous-groupes de \((\Z/p\Z)^n\) sont les sous-espaces vectoriels de \(\F_p^n\).

Pour \(n=2\) il y en a \(p+3\), pour \(n=3\) il y en a \(2(p^2+p+2)\).

Démonstration

  • par dualité, il y a toujours autant de sous-espaces de dimension \(k\) que de dimension \(n-k\)

  • on a 1 espace de dimension 0

  • on a \(\frac{p^n-1}{p-1}=p^{n-1}+\dots+1\) droites

ce qui fait \(2+p+1\) sev pour \(n=2\) et \(2(1+p^2+p+1)\) pour \(n=3\).

Deux exemples

Exemple

nombre de sous-corps de \(\Q(\zeta_{81})\) ?

  • \(81=3^4\), donc le groupe de Galois est cyclique d’ordre \(2^1\times3^3=54\)

  • ce groupe possède \(2\times 4=8\) sous-groupes

  • ainsi on a 8 sous-corps.

  • parmi eux, les \(\Q(\zeta_{3^e})\) et leurs sous-corps réels \(\Q(\zeta_{3^e}^+)\)

\begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & L =\Q(\alpha_1,\alpha_2,\alpha_3)\\ \Q(\sqrt[3]2) \ar@{-}[ur] \\ & \Q(j) \ar@{-}[uu] \\ \Q\ar@{-}[uu] \ar@{-}[ur] } \end{xy}

Exemple

nombre de sous-corps de \(\Q(\zeta_{24})\) ?

  • \(24=2^3\times 3\), donc \((\Z/2\Z)^3\)

  • le groupe est isomorphe à \(\F_2^3\), et a autant de sous-groupes que l’espace vectoriel a de sous-espaces, donc \(1+7+7+1=16\).

  • on a donc 16 sous-corps.

Notons \(\alpha,\beta,\gamma\) des générateurs de chaque facteur \(\Z/2\Z\). Alors les sous-groupes sont

  • ordre 1 : \(\set{1}\)

  • ordre 2 : \(\langle\alpha\rangle\), \(\langle\beta\rangle\), \(\langle\gamma\rangle\), \(\langle\alpha\beta\rangle\), \(\langle\beta\gamma\rangle\), \(\langle\alpha\gamma\rangle\), \(\langle\alpha\beta\gamma\rangle\)

  • ordre 4 : \(\langle\alpha,\beta\rangle\), \(\langle\beta,\gamma\rangle\), \(\langle\alpha,\gamma\rangle\), \(\langle\alpha\beta,\gamma\rangle\), \(\langle\alpha,\beta\gamma\rangle\), \(\langle\alpha\gamma,\beta\rangle\), \(\langle\alpha\beta,\beta\gamma\rangle\)

  • ordre 8 : \(\langle\alpha,\beta,\gamma\rangle\)

_images/diagram_Z2Z2Z2.png

On peut expliciter les choses :

  • \((\Z/8\Z)^\times=\simeq \Z/2\Z\times \Z/2\Z\), via les générateurs \(-1\) et \(5\bmod 8\).

  • \((\Z/3\Z)^\times\simeq \Z/2\Z\), via le générateurs \(-1\bmod 3\).

On relève ces congruences modulo 8 et 3 en trois générateurs

\[\begin{split}\alpha&=7\bmod 24\\ \beta&=13\bmod 24\\ \gamma&=17\bmod 24\end{split}\]

ce qui fournit l’isomorphisme explicite

\[\begin{split}\left\{\begin{array}{ccc} (\Z/2\Z)^3 &\to &(\Z/24\Z)^\times\\ (a,b,c) &\mapsto &\alpha^a\beta^b\gamma^c \end{array}\right.\end{split}\]

Sous-corps réels et sous-corps quadratiques

Théorème

Si \(n=p^e\), \(p\geq 3\), alors le groupe de Galois est cyclique. Son sous-groupe d’indice \(2\) est l’ensemble des carrés. Il correspond à un unique sous-corps quadratique, qui est \(\Q(\sqrt p)\) si \(p\equiv1\bmod 4\) et \(\Q(i\sqrt p)\) si \(p\equiv 3\bmod 4\).

Démonstration

il suffit d’identifier le sous-corps quadratique. On définit la somme de Gauss

\[g=\sum_{a}\zeta_p^a-\sum_b\zeta_p^b,\]

\(a\) parcourt les carrés et \(b\) les non carrés de \(\F_p^\ast\), alors il est aisé de voir que \(\sigma(g)\neq g\), donc \(g\) n’est pas rationnel, tandis que \(g\) est fixe par le sous-groupe \(S\) (la multiplication par un carré stabilise \(S\) et \(G\setminus S\)). Ainsi, \(g\) est de degré \(2\) et engendre ce sous-corps quadratique.

Par ailleurs, en menant astucieusement le calcul (en utilisant le symbole de Legendre) on montre que \(g^2=p\) si \(p\equiv1\bmod 4\) et \(g^2=-p\) si \(p\equiv -1\bmod 4\), ce qui permet d’identifier le sous-corps (cf. exercice TD)

Kronecker-Weber

Le groupe de Galois des corps cyclotomiques est abélien. Par ailleurs, il n’est pas très dur de montrer que l’on peut obtenir n’importe quel groupe abélien comme quotient d’un \((\Z/n\Z)^\ast\) :

  • un tel groupe se décompose en produit de groupes cycliques d’ordre \(m_i\)

  • il existe des premiers distincts \(p_i\equiv 1\bmod m_i\), de sorte que \(\Z/m_i\Z\) est quotient de \((\Z/p\Z)^\times\)

  • le produit \(n\) des \(p_i\) convient alors.

Ainsi, tout groupe abélien est groupe de Galois d’une sous-extension d’un corps cyclotomique.

Mais on a beaucoup mieux : si une extension \(K/Q\) est galoisienne de groupe de Galois abélien, alors \(K\) elle-même est incluse dans un corps cyclotomique. C’est le théorème de Kronecker (démonstration complétée par Weber et Hilbert), et le prélude à plein de belles choses.