Théorie de Galois¶
Introduction¶
On a vu avec les polynômes symétriques que le théorème de Gauss (un élément est symétrique ssi il s’exprime en terme de polynômes symétriques élémentaires) est un puissant outil pour travailler sur les racines d’un polynôme général de degré \(n\), en particulier pour essayer de les isoler (ce qu’on a réussi à faire en degré 4).
Une idée de Galois est de généraliser ce principe à des expressions formées à partir de racines de polynômes particuliers, en étudiant le lien entre des extensions algébriques finies \(L/K\) et leur groupe de Galois \(\Gal(L/K)\).
Éléments invariants¶
Pour cela on considère des extensions algébriques \(L/K\), et le groupe \(\Gal(L/K)\) des \(K\)-automorphismes de \(L\).
Définition
Pour tout ensemble \(H\subset \Gal(L/K)\), on note \(L^H\) l’ensemble des éléments fixés par tous les éléments de \(H\). C’est un corps qui contient \(K\).
Dans cette situation, une extension intermédiaire \(K\subset F\subset L\) définit un sous-groupe \(\Gal(L/F)\) de \(\Gal(L/K)\), et inversement tout sous-groupe caractérise une extension intermédiaire, constituée des éléments fixés par tous les automorphismes du sous-groupe.
Quand ce groupe est suffisamment gros, il permet de caractériser les éléments de \(K\) comme les seuls éléments fixés par tous les automorphismes de \(G\). On dit alors que l’extension est galoisienne.
Théorème
Si \(\#\Gal(L/K)=[L:K]\), alors \(L^{\Gal(L/K)}=K\).
Démonstration
Si \(a\) est fixe par \([L:K]\) automorphismes, alors \([L:K(a)]\geq[L:K]\) donc \(K(a)=K\) et \(a\in K\).
En revanche, ce principe échoue dès que le groupe de Galois n’est pas assez gros pour distinguer des éléments appartenant à des sous-corps distincts, et cela peut se produire pour deux raisons exactement :
un élément algébrique \(\alpha\in L\) a un polynôme minimal qui a des racines multiples : on dit que \(L/K\) n’est pas séparable, comme par exemple, \(\F_p(x)/\F_p(x^p)\).
un élément algébrique \(\alpha\in L\) a un minimal qui n’est pas scindé dans \(L\) ; on dit que \(L/K\) n’est pas normale, comme par exemple \(\Q(\sqrt[3]2)/\Q\).
Conjugués et polynôme minimal¶
Une extension galoisienne est également une extension qui contient tous les conjugués d’un élément, ce qui permet de recontruire facilement les polynômes minimaux.
Théorème
Soit \(L/K\) galoisienne, et \(α\in L\). Alors le polynôme
est un annulateur de \(α\) scindé dans \(L\). De plus, en notant \(m_α(x)\in K[x]\) le minimal de \(α\), on a
Démonstration
\(P\) est invariant par \(G\), donc à coefficients dans \(K\).
Soit \(H\) le sous-groupe de \(G\) qui fixe \(α\), chaque translaté \(σ(α)\) est fixé par \(σHσ^{-1}\), de sorte que chaque racine apparaît \(\card H\) fois.
Ainsi, \(P(x) = Q(x)^{\card H}\), avec \(Q(x)\in K[x]\).
Montrons que \(Q(x)=m_α(x)\) : tout \(σ(α)\) est racine de \(m_α(x)\), donc \(Q(x)\mid m_α\), donc \(Q(x)=m_α(x)\).
Puisque \(\deg m_α=[K(α):K]\) et \(\deg P=[L:K]\), on obtient \(\card H=[L:K(α)]\).
remarque: on en déduit que \(L/K(a)\) est galoisienne (cf. plus loin)
en particulier, puisqu’on a vu que les conjugués par le groupe de Galois sont toutes les racines du polynôme minimal, on a
Proposition
Soit \(α\in L/K\) une extension galoisienne. Alors tout les conjugués de \(α\) sont dans \(L\), et tous les conjugués le sont par un élément du groupe de Galois \(\Gal(L/K)\).
Extensions galoisiennes¶
On a défini \(L/K\) galoisienne quand \(\Gal(L/K)\) contient \([L:K]\) éléments.
Cette notion a diverses conséquences, en réalité équivalentes :
extensions galoisiennes
Une extension finie L/K est galoisienne si elle satisfait les conditions équivalentes suivantes
\(\card\Gal(L/K)=[L:K]\),
\(L^{\Gal(L/K)}=K\)
tout \(a\in L\) a un minimal scindé à racines simples dans L,
\(L/K\) est normale (les polynômes minimaux sont scindés dans \(L\)) et séparable (leurs racines sont simples)
\(L\) est engendrée par des éléments dont les minimaux sur \(K\) sont scindés à racines simples dans \(L\)
\(L\) est le corps de décomposition d’un polynôme séparable sur \(K\)
Démonstration
les deux premières implications ont été vues plus haut
une fois qu’on sait que tout minimal est scindé à racines simples, c’est en particulier vrai de générateurs, donc l’extension est un corps de décomposition
par théorème de prolongement des morphismes, un corps de décomposition est une extension galoisienne.
si normale et séparable, alors galoisienne (th de prolongement)
réciproquement, si pas normale ou pas séparable, on ne peut avoir \([L:K]\) automorphismes
Dans ces caractérisations, on voit que des critères vérifiés sur certains éléments donnent des conclusions sur tout le monde.
Corollaire
Soit \(L/K\) finie, et \(G=\Gal(L/K)\). Alors \([L:L^G]\) est toujours galoisienne de groupe de Galois \(G\).
Démonstration
Notons \(F=L^G\), alors \(\Gal(L/F)=\Gal(L/K)\) (\(\subset\) toujours vrai et \(\supset\) par définition de \(F\)), donc \(F=L^{\Gal(L/F)}\) est galoisienne.
Corollaire
Si \(L/K\) finie, alors \(\card \Gal(L/K)\mid [L:K]\)
Démonstration
On avait \(\leq\) par th de prolongement des morphismes, mais comme on sait que \(L^{\Gal(L/K)}\) est un corps intermédiaire on a en fait une divisibilité.
Corollaire
Si \(L/K\) galoisienne, alors \(L/F\) aussi pour tout \(K-F-L\), car les éléments ont toujours des annulateurs scindés à racines simples.
Exemples¶
extensions quadratiques en caractéristique \(\neq 2\)
corps de décomposition de \(x^3-2\), + deux visions du groupe de Galois
\begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & L =\Q(\alpha_1,\alpha_2,\alpha_3)\\ \Q(\sqrt[3]2) \ar@{-}[ur] \\ & \Q(j) \ar@{-}[uu] \\ \Q\ar@{-}[uu] \ar@{-}[ur] } \end{xy}\(L=\Q(\alpha_1,\alpha_2,\alpha_3)\), corps engendré par les trois racines. Les éléments du groupe sont des permutations des trois racines -> \(\gS_3\)
\(L=\Q(\sqrt[3]2,j)\), valeurs en \(\sqrt[3]2\) et \(j\) \(\to\) \(3\times2 = 6\) possibilités, le groupe obtenu est le groupe affine \(\Aff(\F_3)\).
On obtient une bijection
\[\gS_3\to \Z/3\Z\rtimes \Z/3\Z)^\times = \Aff(\F_3)\]
corps de décomposition de \(x^4-2\)
pas toutes les permutations des 4 racines cette fois, car deg = 8 < 24
par exemple, \(\sqrt[4]2\to i\sqrt[4]2\) et \(-\sqrt[4]2\to\sqrt[4]2\) impossible, car ces racines ont des relations entre elles qu’il faut préserver (somme nulle ici)
en revanche valeur en \(\sqrt[4]{2}\) et \(i\) -> au plus 8 possibilités, ici toutes réalisées, puisque l’extension est de degré \(8\)
groupe \(D_4\) des symétries du carré (de sommets \(i^k\sqrt[4]2\)).
minimal de \(\sqrt[4]2+\sqrt2+1\) ? orbite à 4 éléments (fixé par conjugaison complexe).
retour sur le théorème de Gauss :
En notant \(L=\Q(x_1,\dots x_n)\) et \(K=\Q(\sigma_1,\dots \sigma_n)\), l’extension de corps \(L/K\) a un groupe de Galois \(G=\Gal(L/K)\) isomorphe à \(\gS_n\), et \(L^G=K\).
\(K\) est bien un sous-corps de \(L\). Les permutations \(\sigma\) agissant sur les indices des \(x_i\) sont bien des morphismes de corps, et il y en a \(n!\). Or l’extension est de degré \(\leq n!\) car engendrée par les racines d’un polynôme de degré \(n\), donc on a égalité, donc l’extension est galoisienne et on a bien \(K=L^{\gS_n}\).
Correspondance de Galois¶
On est passé de \(L/K\) à \(G\), mais on peut inversement construire \(K\) via un groupe d’automorphismes \(G\).
Définition
\(L^G\) sous-corps fixé par \(G\) un ensemble d’automorphismes
lemme d'Artin
Soit \(L\) un corps et \(G\) un sous-groupe fini de \(\Aut(L)\). Alors \(L/L^G\) est galoisienne de groupe de Galois \(G\).
Démonstration
On a \(G\subset\Gal(L/L^G)\). Pour montrer la réciproque et le caractère galoisien, il suffit de montrer que \([L:L^G]\leq\card G\).
\(L\) est algébrique sur \(L^G\) : en effet tout \(\alpha\in L\) est racine de \(\prod x-\sigma(a)\in L^G[x]\).
De plus, tout tel \(\alpha\) possède un minimal scindé à racines simples de degré \(\leq \card G\).
Ainsi, \(L/L^G\) est séparable.
Soit \(\alpha\in L\) tel que \([K(\alpha):K]\) soit maximal, alors d’après le théorème de l’élément primitif, pour tout \(\beta\in L\) on a \(\beta\in K(\alpha)\). Donc \(K(\alpha)=L\) et \([L:K]\leq\card G\).
On a donc l’égalité \([L:K]=\card G\), donc l’extension est bien finie et galoisienne, de groupe de Galois \(G\).
Théorème
Si \(L/K\) galoisienne, alors pour tout \(K\subset F\subset L\), \(L/F\) est galoisienne de groupe de Galois \(\Gal(L/F)\subset\Gal(L/K)\).
Théorème
Soit L/K galoisienne et G=Gal(L/K). Alors correspondance
Démonstration
On a bien deux applications inverses l’une de l’autre, puisque d’une part \(\Gal(L/L^H)=H\), et d’autre part si \(L/K\) est galoisienne alors \(L/F\) l’est donc son groupe de Galois \(\Gal(L/F)\subset\Gal(L/K)\) satisfait \(L^{\Gal(L/F)}=F\).
Exemple
Sous-groupes de \(\gS_3=D_3=\langle r,s\mid r^3=s^2=(rs)^2=1\rangle\) : - sous-groupe \(\cA_3\simeq\Z/3\Z\) d’indice \(2\) - trois sous-groupes d’ordre \(2\) conjugués
diagramme des sous-extensions
Sous-groupes de \(D_4=\langle r,s\mid r^4=s^2=(rs)^2=1\rangle\) : - trois sous-groupes d’indice \(2\) - un sous-groupe distingué \(\langle r^2\rangle\) d’indice \(4\) - quatre sous-groupes d’ordre \(2\) conjugués
Exemple
minimal de \(α=\sqrt[4]2+\sqrt2+1\) (pol de degré 4), et on en déduit que \(\Q(α)=\Q(\sqrt[4]{2})\).
élément du corps fixé par \(rs\) dans l’extension \(D_4\) \(\Q(\alpha,i)\), par \(r^3s\) ?
Mq le corps de décomposition de \(x^4+1\) contient \(i\) et \(\sqrt2\). En déduire que son groupe de Galois.
Théorème
Soit \(L/K\) galoisienne de groupe de Galois \(G\), et soit \(K\subset F\subset L\) un sous-corps correspondant au sous-groupe \(H\subset G\). Alors :
\(\card H = [L:F]\) et \([F:K] = [G:H]\)
Deux sous-corps \(F\) et \(F'\) correspondant aux sous-groupes \(H\) et \(H'\) sont isomorphes sur \(K\) si et seulement si \(H\) et \(H'\) sont conjugués dans \(G\). En particulier, \(\Gal(L/\sigma(F)) = \sigma H \sigma^{-1}\).
\(F/K\) est galoisienne si et seulement si \(H\vartriangleleft G\). Dans ce cas la restriction \(G\to \Gal(F/K)\) est surjective de noyau \(H\), de sorte que \(G/H\simeq\Gal(F/K)\).
Démonstration
Supposons \(F\) et \(F'\) isomorphes, alors \(F'=\sigma(F)\) pour \(\sigma\in G\) car tout automorphismes \(F\to F'\) peut se prolonger en un automorphisme de \(L\) galoisienne. Alors \(\tau\in\Gal(L/F')\Leftrightarrow \tau\in\sigma H\sigma^{-1}\) par un calcul direct.
Par conséquent, la théorie de Galois ramène la compréhension des extensions de corps à celle de la structure des groupes. En particulier, on veut pour chaque groupe pouvoir dresser la liste de ses sous-groupes, répartis en classes de conjugaison.
Corollaire
Une extension séparable finie n’a qu’un nombre fini de sous-extensions.