Extensions de corps

Rappel

Soit \(a\) dans un corps \(L\) contenant \(K\)

  • \(K(a)\) corps engendré par \(a\)

  • \(K[a]\) anneau engendré par \(a\)

Extensions de corps

Définition

Soient \(K\) et \(L\) deux corps, une extension \(L/K\) est

  • un morphisme de corps \(K\to L\), nécessairement injectif,

ou de manière équivalente,

  • une structure de \(K\)-ev sur \(L\) (d’où dimension, base).

On note \([L:K]\) la dimension, notion d’extension \(L/K\) finie.

Exemple

  • \(\Q\to\R\) : un seul morphisme, \([\R:\Q]=\infty\)

  • \(\R\to\C\) : un seul morphisme, \([C:\R]=2\)

  • \(\F_p\to\F_p[x]/(P)\) : un seul, dim=deg(P).

  • \(\Q[i]\to\C\) : deux possibilités, dim infinie

  • \(\Q[x]/(x^4+1)\to\C\) : quatre morphismes, dim infinie

  • \(K_1\to K_2\) corps finis de cardinal \(p^d\) : d possibilités, dimension 1.

mais (exercices)

  • \(\Q\) n’est pas une extension de \(\F_p\)

  • \(\Q(i\sqrt 3)\) n’est pas une extension de \(\Q(\sqrt3)\)

Remarque

On a besoin que la notion d’extension soit plus souple que celle d’inclusion, néanmoins même si elles sont valides on évitera d’écrire des extensions comme \(\Q(j\sqrt[3]2)/\Q(\sqrt[3]2)\) (en notant \(j\) une racine de \(x^2+x+1\)).

Remarque

caractéristique, corps premier = plus petits corps pour la notion d’extension.

Théorème

Si \(K\subset L\subset M\) sont des extensions de corps, alors \([M:K]=[M:L][L:K]\).

Plus précisément, si \(x_1\dots x_m\) est une \(K\)-base de \(L\) et \(y_1\dots y_n\) est une \(L\)-base de \(M\). Alors la famille des \(x_iy_j\), \(1\leq i\leq m\), \(1\leq j\leq n\) est une \(K\)-base de \(M\).

Éléments algébriques

Soit \(L/K\) une extension, et \(a\in L\). On considère le morphisme d’évaluation en \(a\) :

\[\phi_a:K[x]\to L.\]
  • son image est l’anneau \(K[a]\)

  • pour le noyau, deux possibilités

    • soit \(\ker\phi_a = (0)\), c’est-à-dire que \(a\) n’est racine d’aucun polynôme à coefficients dans \(K\). On dit que \(a\) est transcendant.

    • soit \(\ker\phi_a=(m_a)\) est un idéal principal non nul, on dit que \(a\) est algébrique, et le générateur unitaire \(m_a\) est son polynôme minimal.

      C’est un polynôme irréductible (car \(L\) est intègre).

Proposition

  • si \(a\) est algébrique sur \(K\), \(K[a] \simeq K[x]/(m_a)\) est un corps et \([K(a):K]=\deg m_a\). On dit que \(a\) est algébrique de degré \(\deg m_a\) sur \(K\).

  • sinon \(K(a)=\Frac(K[a])=\Im K(x)\)

Remarque

on a équivalence entre

  • \(a\) algébrique

  • \(\ker\phi_\alpha \neq 0\)

  • il existe \(a_0,\dots a_n\) tq \(\sum a_i\alpha^i = 0\)

  • \([K[\alpha]:K]<\infty\)

  • \(K[a]=K(a)\)

Définition

  • \(a\in L\) algébrique sur \(K\) si \([K[a]:K]<\infty\).

  • \(L/K\) algébrique si tout \(a\in L\) est algébrique.

Corollaire

  • \(L/K\) finie est algébrique

  • la somme, le produit, l’inverse d’algébriques est algébrique

  • les éléments de \(L/K\) algébriques sur \(K\) forment un corps.

Proposition

  • si \(L/K\) est finie, le degré (du minimal) de tout élément divise \([L:K]\)

  • si \(a\) est algébrique sur \(K\) et \(L/K\) est une extension, alors \(a\) est algébrique sur \(L\) et

    \[[L[a]:L]\leq [K[a]:K]\]

Démonstration

  • on regarde la tour \(K-K[a]-L\)

  • le minimal de \(a\) sur \(L\) divise celui de \(a\) sur \(K\)

Proposition

\(L/K\) finie ssi il existe \(a_1,\dots a_n\) algébriques tels que \(L=K[a_1,\dots a_n]\).

Démonstration

  • si \(L/K\) finie, toute base \(a_1,\dots a_n\) de \(L/K\) convient.

  • réciproquement, chacun des \(a_i\) est algébrique, les corps emboîtés \(K\subset K[a_1]\subset K[a_1,a_2]\subset\dots L\) sont chacun extension finie du précédent (de degré le degré de \(a_i\) sur \(K[a_1,\dots a_{i-1}]\)), et on conclut par formule du produit.

Exemple

On regarde le corps \(L=\Q(\sqrt[3]2, i)\), c’est une extension algébrique car engendrée par \(\sqrt[3]2\) et \(i\) qui sont algébriques, de polynômes minimaux respectifs \(x^3-2\) et \(x^2+1\) (irréductibles par Eisenstein et absence de racine réelle).

Pour déterminer \([L:\Q]\), faisons un diagramme (une habitude à prendre) :

\begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & L \\ \Q(\sqrt[3]2) \ar@{-}[ur] \\ & & \Q(i) \ar@{-}[uul] \\ &\Q \ar@{-}[uul]^3 \ar@{-}[ur]_2 } \end{xy}

On connaît les degrés \([\Q(\sqrt[3]2):\Q]=3\) et \([\Q(i):\Q]=2\) par les polynômes minimaux. Par formule du produit, on sait que \([L:\Q]\) est à la fois multiple de \(3\) et de \(2\), donc de \(6\). Réciproquement, \([L:\Q(\sqrt[3]2)]=[\Q(\sqrt[3]2)(i):\Q(\sqrt[3]2)]\leq[\Q(i):\Q]=2\), donc \([L:\Q]\leq 6\), et on a l’égalité.

Définition

  • corps de rupture = corps engendré par une racine

  • corps de décomposition de \(P\) = corps engendré par les racines si \(P\) de degré \(n\), \(\deg\leq n!\)

Exemple

  • \(x^3-2\) sur \(\Q\) :

    • trois corps de rupture isomorphes \(\Q(\sqrt[3]2)\), \(\Q(j\sqrt[3]2)\) et \(\Q(j^2\sqrt[3]2)\), de degré 3 sur \(\Q\).

    • un corps de décomposition \(L=\Q(\sqrt[3]2,j)\), de degré \(6\).

  • \(x^5-x-1\) sur \(\F_5\) :

    • le corps de rupture est \(\F_{5^5}\)

    • c’est aussi le corps de décomposition (via le Frobenius on a toutes les racines).

Le théorème de l’élément primitif

On sait qu’un corps fini peut toujours s’écrire \(\F_q=\F_p[α]\), soit comme extension algébrique engendrée par un seul élément. On va montrer que c’est le cas pour toute extension finie, modulo une condition qui sera toujours vérifiée dans le cadre des extensions qui nous intéresse : l’hypothèse de séparabilité, c’est-à-dire le fait que les polynômes minimaux n’aient pas de racines multiples.

Définition

  • \(P(x)\) séparable si racines simples dans toute extension de décomposition

  • \(a\in L\) séparable sur \(K\) si \(m_a\) séparable

  • \(L/K\) algébrique est dite séparable si le polynôme minimal de tout élément est à racines simples.

Théorème de l'élément primitif

Soit \(L/K\) une extension séparable finie. Alors il existe \(a\in L\) tel que \(L=K[a]\).

Remarque

c’est aussi vrai si \(K\) est un corps fini (dans ce cas L est aussi un corps fini et engendré par une racine primitive de l’unité, on l’a vu). Mais pas toujours pour un corps infini de caractéristique p…

Démonstration

Comme le résultat est déjà connu pour les corps finis, on peut supposer que \(K\) est infini.

On a montré que \(L\) est engendrée par un nombre fini d’éléments algébriques. Par récurrence sur \(n\), il suffit de traiter le cas \(L=K(a,b)\). Notons \(m_a\) et \(m_b\) les minimaux de a et b sur K, et \(a_1\dots a_n\), \(b_1,\dots b_m\) leurs racines dans une extension de décomposition, qui sont toutes distinctes par hypothèse.

On choisit \(c\) de la forme \(a+bt\), avec une valeur de \(t\) telle que \(c\neq a_i+tb_j\) pour tous \(i,j>1\) (ce qui est possible car l’ensemble \(S=\set{ -\frac{a-a_i}{b-b_i} }\) à éviter est fini tandis que K est infini).

Pour montrer que \(c\) est un élément primitif, il suffit de montrer que \(b\in K(c)\), car on aura aussi \(a\in K(c)\).

Pour cela il suffit de montrer que \(b\) est de degré \(1\) sur \(K(c)\).

On écrit \(m_a(x) = \prod (x-a_i)\) le minimal de \(a\), et on considère le polynôme \(m(x) = m_a(c-tx) = \prod_i (c - t x - a_i)\).

Alors \(m\in K(c)[x]\) s’annule en b, et en aucun autre \(b_j\) par choix de \(t\) (en effet si \(c -tb_j = a_i\), alors \(a+bt = a_i+t b_j\))

\(b\) est donc l’unique racine commune à \(m\) et \(m_b\). Le minimal de \(b\) sur \(K(c)\) divisant \(m_b\) et \(m\), il est donc de degré 1.

Ce qui conclut.

Application: constructions à la règle et au compas