Résolubilité par radicaux

Principe

Résolubilité par radicaux et extensions résolubles

Dire qu’une quantité s’exprime par radicaux, c’est l’écrire au moyen d’une suite d’opérations de corps et d’extractions de racines. Quitte à prendre ces dernières en plusieurs fois, il suffit de considérer les opérations \(\sqrt[p]{\cdot}\) pour \(p\) premier.

Définition

  • Une extension \(L/K\) est radicale élémentaire s’il existe \(p\) premier tel que \(L=K(\alpha)\) avec \(\alpha^p\in K\) (en d’autres termes, \(L=K(\sqrt[p]{a})\) pour \(a\in K\)).

  • \(L/K\) est dite radicale si elle c’est une tour d’extensions radicales élémentaires.

  • \(L/K\) est résoluble si elle est contenue dans une extension radicale.

Ainsi, une quantité est exprimable par radicaux si et seulement si elle appartient à une extension résoluble.

D’autre part, si un élément algébrique \(\alpha\) est exprimable par radicaux, alors ses conjugués le sont également, de sorte qu’un polynôme irréductible a une racine exprimable par radicaux si et seulement si son extension de décomposition est résoluble.

Extensions radicales élémentaires

On s’intéresse aux extensions de corps obtenues en rajoutant un radical \(\sqrt[n]{a}\). Si on a assez de racines de l’unité, on peut caractériser ces extensions par leur groupe de Galois.

Quitte à prendre les racines en plusieurs fois, il suffit de considérer \(n=p\) premier. Dans ce cas, le groupe de Galois de \(K(\sqrt[p]{a})/K\) est simple à identifier.

Proposition

Soit \(K\) un corps contenant les racines \(p\)-ièmes de l’unité, et \(a\in K\) tel que \(x^p-a\) possède une racine \(\alpha\not\in K\). Alors \(K(\alpha)/K\) est galoisienne de groupe de Galois \(\Z/p\Z\).

Démonstration

Notons \(\zeta\in K\) une racine \(p\)-ième primitive, alors \(x^p-a=\prod(x-\zeta^k\alpha)\) est scindé dans \(K(\alpha)\) qui est donc galoisienne. Puisque \(\alpha\not\in K\), il existe un automorphisme de Galois non trivial de la forme \(\sigma:\alpha\mapsto \zeta^k\alpha\), \(k\neq 0\). Alors puisque \(\zeta^k\) est d’ordre \(p\), \(\sigma\) est d’ordre \(p\), donc \(\Gal(K(\alpha)/K)\simeq\Z/p\Z\).

C’est la réciproque qui est délicate : il faut exhiber un élément primitif de la forme \(\sqrt[p]{a}\).

Théorème

Si \(L/K\) est galoisienne de groupe de Galois \(\Z/p\Z\), et si \(K\) contient les racines \(p\)-ièmes de l’unité, alors il existe \(\alpha\in L\) tel que \(L=K(\alpha)\) et \(\alpha^p\in K\).

Démonstration

Notons \(\sigma\) un générateur du groupe de Galois, et \(\zeta\) une racine \(p\)-ième primitive de l’unité. Pour \(\beta\in L\), on pose

\[\alpha = \beta+\zeta^{-1}\sigma(\beta)+\dots \zeta^{-(p-1)}\sigma^{p-1}(\beta)\]

de sorte que \(\sigma(\alpha)=\zeta\alpha\).

Ainsi, si \(\alpha\neq0\), alors \(\alpha\not\in K\), de sorte que \(L=K(\alpha)\) car \([L:K]=p\) est premier. De plus, \(\alpha^p\in K\) car il est fixé par \(\sigma\), donc le minimal de \(\alpha\) est \(x^p-\alpha^p\).

Si \(\alpha=0\), on peut définir de même \(\alpha_i\) en utilisant la racine \(\zeta^i\) pour \(1\leq i\leq p-1\).

Or si \(\alpha_i\) est nul pour toute racine \(p\)-ième \(\zeta^i\), alors leur somme vaut

\[0 = \sum_{i=1}^{p-1} \alpha_i = \sum_{i=1}^{p-1} \sum_{k=0}^{p-1} \zeta^{-ki} \sigma^k(\beta)\]

avec \(\sum_{i=1}^{p-1} \zeta^{-ki} = - 1\) si \(\zeta^k\) est une racine primitive, de sorte qu’en isolant le terme \(k=0\)

\[0=(p-1)\sigma^0(\beta) - \sum_{k=1}^{p-1}\sigma^k(\beta),\]

d’où \(p\beta=\sum_{k=1}^{p-1}\sigma^k(\beta)\). Or le membre de droite est fixe par \(\sigma\), donc \(\beta\in K\), absurde.

Ainsi, il existe un \(\alpha_i\) non nul, pour lequel \(L=K(\alpha_i)\) est radicale élémentaire.

On sait donc résoudre par radicaux toutes les équations de groupe de Galois \(\Z/p\Z\), quitte à rajouter des racines de l’unité.

Extensions composées

En général, le groupe est plus compliqué : la technique de Galois est de simplifier peu à peu le groupe en exprimant des sous-groupes via des extensions connues.

Soit donc \(L/K\) une extension galoisienne, celle que l’on cherche à résoudre, et \(F/K\) une extension auxiliaire (en général radicale élémentaire). On pose \(FL\) l’extension composée.

\begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & FL \\ F \ar@{-}[ur] \ar@{.}@/^/[ur]^{?} & L \ar@{-}[u] \\ K\ar@{-}[u] \ar@{-}[ur] \ar@{.}@/_/[ur]_{G} } \end{xy} \;\;\;\;\;\;\; \begin{xy} \xymatrix@=.6pc{ & FL \\ F \ar@{-}[ur] \ar@{.}@/^/[ur]^{H} & & L \ar@{-}[ul] \\ & F\cap L \ar@{-}[ul] \ar@{-}[ur] \ar@{.}@/^/[ur]^{H} \\ K\ar@{-}[uu] \ar@{-}[ur] \ar@{.}@/_1pc/[uurr]_{G} } \end{xy}

Théorème

  • \(FL/F\) est galoisienne

  • \(\Gal(FL/F)\simeq\Gal(L/F\cap L)\subset \Gal(L/K)\)

  • \([FL:K]=\frac{[F:K][L:K]}{[F\cap L:K]}\)

  • si \(F/K\) est galoisienne alors \(FL/K\) l’est.

Démonstration

  • ext de décomposition d’un pol séparable

  • on a une application de restriction \(\sigma\mapsto \sigma_{\mid L}\) à image dans \(\Gal(L/K)\) car puisque \(L/K\) est normale tout automorphisme envoie \(L\) dans \(L\). De plus ce morphisme est injectif car un automorphisme qui fixe \(F\) et \(L\) fixe \(FL\). Enfin, en notant \(H\) son image, montrons que \(L^H=F\cap L\) : on a facilement \(\supset\) car tout élément de \(F\) est fixe par \(\Gal(FL/F)\) donc par \(H\) ; réciproquement, tout élément de \(L^H\) est fixe par \(\Gal(FL/F)\) donc est dans \(F\).

  • formule du produit, en passant par \([FL:F]=[L:F\cap L]\).

  • extension de décomposition du produit de deux polynômes séparables.

Grâce à ce théorème, on passe de \(\Gal(L/K)\) à un sous-groupe \(\Gal(FL/F)\) : si ce groupe est trivial alors \(L\subset F\) et on a fini.

Il reste à donner un critère qui caractérise les extensions/les groupes pour lesquels on réussira toujours à décomposer le groupe de cette manière.

Technique de résolution

Résoudre par radicaux, c’est ajouter des quantités radicales au corps jusqu’à ce qu’il contienne les racines. La technique de Galois est d’ajouter ces quantités de sorte qu’on substitue à chaque fois au groupe un sous-groupe, jusqu’à ce qu’il ne reste que l’identité : alors \(L\subset K_n=K_nL\), donc l’équation est résolue.

Si on ajoute d’emblée assez de racines de l’unité, alors les extensions radicales sont à chaque fois galoisiennes et cycliques, de sorte que le groupe de Galois d’une extension résoluble doit se dévisser par une suite de sous-groupes dont les quotients sont cycliques. Le théorème de Galois énonce qu’il s’agit d’une condition nécessaire et suffisante pour pouvoir résoudre par radicaux.

Groupes résolubles

Définition

on appelle groupe résoluble un groupe \(G\) tel qu’il existe une suite de sous-groupes \(\set{1}=G_n\subset \dots G_0=G\) tels que

  • \(G_{i+1}\triangleleft G_i\)

  • \(G_{i}/G_{i+1}\) est abélien.

Exemple

  • tout groupe abélien est résoluble

  • \(1\triangleleft V_4\triangleleft \cA_4\triangleleft \gS_4\)

Définition

on appelle sous-groupe dérivé de \(G\) le sous-groupe engendré par les commutateurs \(xyx^{-1}y^{-1}\). C’est un sous-groupe distingué de \(G\), et par construction \(G/H\) est abélien.

Théorème

Un groupe est résoluble si et seulement si sa suite dérivée (obtenue en prenant la suite des sous-groupes dérivés) atteint \(\set{1}\).

Démonstration

si \(G/H\) est abélien, alors on a \(D(G)\triangleleft H\) (et c’est une équivalence).

Pour tout groupe donné explicitement, cela fournit une technique de calcul explicite pour savoir si le groupe est résoluble. En outre, la suite obtenue est la plus courte possible (le groupe dérivé étant le plus petit sous-groupe donnant un quotient abélien). Inversement, on peut chercher les quotients les plus simples possibles :

Proposition

Si \(G\) est résoluble, il existe une suite de résolution dont tous les quotients sont de la forme \(G_i/G_{i+1}\simeq \Z/p_i\Z\), \(p_i\) premier.

Démonstration

L’ensemble des suites de résolution est fini (car le nombre de sous-groupes d’un groupe est fini). Alors une suite de longueur maximale convient.

Supposons en effet qu’un quotient, que l’on peut noter \(G/H\) est d’indice \([G:H]\) non premier. Alors pour \(p\) un diviseur premier de cet indice, il existe (th. de Cauchy) un élément \(x\) d’ordre \(p\) dans \(G/H\), ie \(x\not\in H\) mais \(x^p\in H\).

Alors en notant \(H_x=H\cup xH\cup\dots x^{p-1}H\) le sous-groupe engendré par \(H\) et \(x\), on a

  • \(H\triangleleft H_x\) car \(H\triangleleft G\)

  • \(H_x\triangleleft G\) car \(G/H\) est abélien, donc pour tout \(y\in G\) et toute classe \(x^kH\), \(yx^k H=x^kyH=x^kHy\).

Ainsi on obtient une suite strictement plus longue, impossible.

Lemme

  • Si \(G\) est résoluble, tout sous-groupe \(H\) de \(G\) est résoluble.

  • Si \(G\) est résoluble et \(H\triangleleft G\), alors \(G/H\) est résoluble.

Démonstration

  • la suite des \(G_i\cap H\) est une résolution de \(H\)

  • si \(\phi\) est un morphisme surjectif on a \(\phi(D(G))=D(\phi(G))\).

dans ce dernier cas, on a en réalité une équivalence

Théorème

si \(H\triangleleft G\), alors \(G\) résoluble ssi \(H\) et \(G/H\) le sont

Démonstration

en notant \(\phi\) la surjection \(G\to G/H=K\), la suite des \(\phi^{-1}(K_i)\) concaténée à celle des \(H_i\) convient.

Théorème

Tout groupe d’ordre impair est résoluble. (Feit-Thomson, la démonstration fait appel à beaucoup de choses).

Définition

un groupe est dit simple s’il n’a pas de sous-groupe distingué non trivial.

Théorème

  • un groupe simple non abélien n’est pas résoluble.

  • pour \(n\geq 5\), \(A_n\) est simple, donc \(\cA_n\) et \(\gS_n\) ne sont pas résoluble.

Les premiers groupes non résolubles sont d’ordres 60 (\(A_5\)), 120 (\(\gS_5\)), 168 (\(PSl_2(\F_7)\)), 180…

Le théorème d’équivalence

Théorème

Une extension galoisienne \(L/K\) est résoluble si et seulement si son groupe de Galois \(\Gal(L/K)\) est résoluble.

Démonstration

  • Soit \(L/K\) résoluble, et \(K=K_0\subset K_1\subset \dots K_n\) une suite radicale associée, choisie telle que l’on ajoute à chaque fois une racine \(p_i\)-ième.

    On pose \(\zeta\) une racine \(m\)-ième de l’unité, où \(m\) est le ppcm des \(p_i\), et on réalise le diagramme suivant:

    \begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & K_n(\zeta) \\ K_n \ar@{-}[ur] & K_2(\zeta) \ar@{.}[u] \\ K_2 \ar@{-}[ur] \ar@{.}[u] & K_1(\zeta) \ar@{-}[u]\\ K_1 \ar@{-}[ur] \ar@{-}[u] & K(\zeta) \ar@{-}[u]\\ K \ar@{-}[ur] \ar@{-}[u] } \end{xy} \;\;\;\;\;\;\; \begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & K(\zeta) \\ K \ar@{-}[ur] \ar@{.}[ur] & \Q(\zeta) \ar@{-}[u] \\ \Q \ar@{-}[u] \ar@{-}[ur] \ar@{.}[ur] } \end{xy}

    Alors en posant \(H_i=\Gal(K_n(\zeta)/K_{i}(\zeta))\),

    • \(\Gal(K_n(\zeta)/K(\zeta))\) est résoluble, car galoisienne de quotients

      \[H_{i-1}/H_i =\Gal(K_{i}(\zeta)/K_{i-1}(\zeta)) = \Z/p_i\Z\]
    • \(\Gal(K_n(\zeta)/K)\) est résoluble, car le dernier quotient est un sous-groupe de \((\Z/m\Z)^\ast\) abélien

    • \(\Gal(L/K)\) est donc résoluble, car quotient d’un groupe résoluble par le sous-groupe distingué \(H=\Gal(K_n(\zeta)/L)\)

  • Réciproquement, supposons \(\Gal(L/K)\) résoluble. On note \(\zeta\) une racine d’ordre \([L:K]\).

    \begin{xy} \xymatrix@=1.5pc{ & L(\zeta) \\ K(\zeta) \ar@{-}[ur] & L \ar@{-}[u] \\ K\ar@{-}[u] \ar@{-}[ur] } \end{xy}
    • \(\Gal(L(\zeta)/K(\zeta))\) est résoluble, car c’est un sous-groupe de \(\Gal(L/K)\).

    • \(L(\zeta)/K(\zeta)\) est donc une extension radicale, via les quotients \(\Z/p\Z\)

    • or \(K(\zeta)/K\) est radicale (racines de \(x^m-1\)), donc \(L(\zeta)/K\) est radicale

    • donc \(L/K\) est résoluble.

Théorème

Le groupe symétrique \(\gS_n\) est résoluble si et seulement si le groupe alterné \(\cA_n\) est résoluble, si et seulement si \(n\leq 4\).

Démonstration

  • \(\gS_n/\cA_n=\Z/2\Z\)

  • \(\cA_n\) est simple pour \(n\geq 5\), et d’ordre non premier. Donc il n’est pas résoluble.

    • \(A_n\) est engendré par les 3-cycles, car \((ab)(bc)=(abc)\) et \((ab)(cd)=(abc)(bcd)\).

    • Les \(3\)-cycles sont conjugués dans \(\cA_n\): ils sont conjugués dans \(\gS_n\) par la permutation \(\sigma\) qui envoie \((a,b,c)\) sur \((a',b',c')\), Si \(\sigma\in\cA_n\) c’est bon, sinon il existe deux éléments \(d\neq d'\) tels que \(d\not\in\set{a,b,c}\) et \(d'\not\in\set{a',b',c'}\). Alors \(\sigma(dd')\in\cA_n\) (on a besoin de \(n\geq 5\) pour trouver des éléments \(d,d'\) distincts).

    • il reste à montrer que tout sous-groupe distingué contient un 3-cycle.

    • Les éléments d’ordre \(2\) sont également conjugués dans \(\cA_n\), car si \(\sigma\in\gS_n\) conjugue \((ab)(cd)\) à \((a'b')(c'd')\) alors \(\sigma(ab)\) également, et une des deux est dans \(\cA_n\)

    • Si un sous-groupe distingué contient un 5-cycle, il les contient tous : soit \(\sigma\) conjugue \(c=(abcde)\) à \((a'b'c'd'e')\) est paire, soit puisque \(c^2=(acebd)\) est conjugué à \(c\) par le cycle \(\tau=(bced)\) impair, de sorte que \((a'b'c'd'e')\) est conjugué soit à \(c\) ou \(c^2\) dans \(\cA_n\).

    • Par comptage, il y a dans \(\cA_n\) - 1 neutre - \(5\times4\times3/3=20\) 3-cycles - \(5\times 3=15\) doubles transpositions - \(5!/5=24\) 5-cycles

    un sous-groupe dinstingué ne peut contenir moins des trois types de permutations, donc c’est \(\cA_5\).